Corps et âmes (Azazel, Michel, Lucas)

Michel décida de m'accompagner mais voulait que nous faisions un détour pour aller chercher Lucas. Il souligna que ce serait dommage qu'ils restent fâchés. Je n'étais pas forcément convaincue qu'il serait le meilleur moment pour qu'ils se hurlent dessus sachant qu'elle était peut-être mourante. Ceci dit, entendre Michou dépeindre la scène d'une Tatiana soulagée de savoir qu'il ne lui en voulait pas me donna un peu de baume au coeur. Bien, il avait gagné. La voir sourire me ferait du bien et puis je lui devais bien cela.

" On va le chercher ensemble ça ira bien plus vite. "

Je lui pris la main pour sortir de mon repaire. Vu l'heure, il n'y avait plus grand monde sur les routes et j'étais très pressée. Je lui proposais alors de prendre ma voiture. Il s'agissait d'une voiture 5 places gris souris. Lorsqu'il fut installé je lui précisais :

" S'il y a un bouchon, on traversera tout. Il y a un sac à vomis à chaque place au cas où. "

J'étais habituée à mon don mais ce n'était pas le cas de tout le monde. J'avais pris mes dispositions après avoir eu l'expérience de laver toute l'après-midi des vomis.

" Mais il n'y a pas grand monde, je n'en aurai sans doute pas besoin. "

Nous partions chercher Lucas. Une fois à destination, je laissais Michou partir seul le chercher. C'était son ami pas le mien et si je culpabilisais, je lui en voulais un peu d'avoir mis Tatiana dans un tel état. Je savais que ce n'était non seulement pas juste ni justifié mais le cerveau a besoin d'un responsable et il est plus facile d'en vouloir aux autres qu'à soi-même.

Quand ils arrivèrent ensemble, je redémarrais le moteur. J'attendis qu'ils eurent attachés leur ceinture et je répétais les règles de sécurité que j'avais énoncées auparavant à son ami. Nous partions. Par chance, il n'y avait tellement personne que nous n'avions pas besoin d'user mon don. Nous nous rendions à l'hôpital. L'entrée était étrangement déserte à l'exception d'une femme que je reconnaissais bien tout comme mes compères car elle avait son faciès le plus connu : une peau mâte, un air plein de défi.

- Vous voilà. Je vous attendais.

" Azazel. "

Je ne savais dire si sa présence était de très bonne ou de très mauvaise augure. Elle aurait pu se contenter d'un message télépathique mais pourtant elle ne l'avait pas fait. Je ne le sentais pas. Je lui adressais un regard inquiet.

" Je suis désolée, Tatiana... Je n'ai pas pu la protéger. "

Peut-être voulait-elle me punir ou me faire la morale ? Il n'y avait pas pire que de se faire réprimander par une déesse, j'en étais convaincue. D'autant plus que j'avais un immense respect pour elle et que je faisais tout pour l'aider. Faites qu'elle ne soit pas là pour Tatiana... Je me le répétais mentalement en espérant que cela soit un hasard.

//FLASHBACK//

J'avançais sur mes investigations avec Chat Noir. J'étais soulagée de voir que mes forces me revenaient assez vite. Nous poursuivions nos efforts séparés ce jour : il avait des pistes à suivre et moi de même. Je ne vous embêterai pas avec mon planning plus que chargé. J'en viendrais à ce qui vous intéresse. J'eus vent qu'une mission allait prendre place dans les locaux de Paul Ochon. Sophia comptait y emmener un anarchiste et Tatiana. J'étais assez surprise qu'elle ait choisi d'inclure un externe pour une mission si sensible mais j'avais entièrement confiance en elle. Par contre, je ne sentais pas du tout Tatiana. Quand je la regardais, je voyais qu'elle était totalement dépressive et je savais que dans ces moments-là, elle pouvait inconsciemment prendre des décisions pour se nuire volontairement. Elle avait tendance à rabâcher qu'elle était vieille et qu'elle mourrait bientôt. Je le savais : elle me le disais directement et me suppliais parfois de l'échanger contre la femme décédée d'un certain Lucas. Visiblement, elle était tellement folle amoureuse de lui qu'elle était prête à en omettre tout son être et partir pour le voir heureux. Je sentais à ce moment-là, que si Sophia l'emmenait, elle allait gaffer. Il n'était pas forcément dans ma nature de vouloir jouer aux héroïnes. Vous savez combien il y a d'humains sur la Terre et de démons ? Je ne pouvais m'amuser à tous les secourir... Seulement nous parlions de Tatiana : cette brave petite me servait aveuglément depuis mon arrivée et elle je lui avais promis de veiller sur elle et que s'il lui arrivait malheur, je prendrais soin d'elle et la ferai revenir plus tard. Je n'avais pas spécialement envie de tenir cette parole dans les heures à venir mais je me sentis obligée de la suivre, invisible.

Quand elle fut laissée seule, j'eus peur pour elle. Allait-elle se suicider ? Visiblement pas : tant mieux. Je la laissais suivre le plan jusqu'au moment fatidique où elle fut poursuivie par des hommes armés.  Ils tirèrent. Une des balles allait toucher la tête : je la détournais... et elle toucha le ventre. Ça allait faire mal mais au moins serait-elle encore en vie.

Je vous entends râler : pourquoi ne pas avoir neutraliser la balle ? Je ne suis pas dans mon royaume : je venais déjà de me blesser en la détournant.  Contrairement à ce que vous pensez, les dieux ne sont pas surpuissants partout et sur tous les sujets. Nous avons chacun nos spécialités.

... Et oui j'aurai pu prendre la balle à sa place mais franchement vu son état d'esprit, si ce n'était pas maintenant, la situation arriverait dans un jour ou deux. Je sentais bien que c'était inéluctable. Je restais près d'elle quand elle fut assise. Je la vis être soulagée en apprenant que ses collègues avaient le sérum. Elle coupa le micro et m'appella mentalement.

*Azazel... Azazel... Je suis prête à mourir, ça y est. Vous allez sauver tout le monde mais sans moi. Je ne veux plus de tout ça... Je souffre trop entre mon corps et mon esprit... Pitié... Libère-moi... Pitié... Je ne veux plus de ce monde tout comme il ne veut pas de moi. Pitié... *

Je la sentais souffrir du plus profonde de son âme et il aurait été cruel de la laisser dans une telle souffrance. Je lui lançais de la poussière de rêve pour qu'elle puisse se couper de son corps et rejoindre l'Hôtel California en paix.

Je vis arriver au loin Sophia, je m'en allais pour trouver de bons médecins alliés. Quand plus tard, on nous l'amena, elle fut prise en charge de la meilleure façon possible mais, si je ne l'avais pas fait, ils l'auraient de toute façon plongée dans un comas artificiel. Je ne savais si son corps survivrait. Ce que je savais, c'est que l'esprit pouvait aider le corps à guérir et qu'actuellement ils n'étaient pas du tout sur la même longueur d'onde. Tatiana était tout à fait partante pour lâcher prise et il me fallait de l'aide.

C'est dans ce but que je fis le pied de grue devant l'hôtel, me doutant qu'ils arriveraient tous les trois.

//FIN DU FLASHBACK//

" Vous voilà. Je vous attendais. "

-Azazel. Je suis désolée, Tatiana... Je n'ai pas pu la protéger.

Je secouais la tête et lui dis d'une voix bienveillante :

" Tu ne peux la sauver d'elle-même. Ça fait longtemps qu'elle travaille dur pour ce moment... Malheureusement. Et c'est pourquoi j'ai vraiment besoin de vous. "

Je regardais Lucas et le pointais du doigt :

" Surtout de toi. Vous êtes pareils : vous dites ne pas avoir besoin de l'autre mais sans l'autre, vous dépérissez. Elle n'a jamais eu autant besoin de toi et n'a jamais autant été plongée dans le déni de cette réalité. "

Je les emmenais devant sa chambre et les stoppais pour leur parler d'une voix des plus sérieuses..

" Je suis son médecin et je vous préviens : elle est dans le comas. Son pronostic vital est engagé, plusieurs organes ont été touchés. Maintenant entrez avec moi. "

J'ouvrais la porte et les laissais entrer. Tatiana était dans un triste état, avec un respirateur, perfusée, avec des bandes. Elle était pâle comme une morte. Le bip constant des machines montrait que son coeur battait mais pas d'une grande vigueur. Je les laissais accuser le choc tout en me disant qu'il pouvait leur être utile que je leur explique un peu les choses, histoire qu'ils ne lui parlent pas pour rien.

" Pour information, elle ne peut et ne veut pas vous entendre. Son esprit est dans le royaume des songes, bien à l'abris dans l'Hôtel California, comme elle me l'a demandé. Elle ne ressent aucune douleur physique là-bas mais ça n'empêche qu'en attendant son corps dépérit. Je ne peux pas l'empêcher de mourir si elle reste là-bas... Elle semble s'y plaire un peu trop mais peut-être que vous pourriez changer cela et la motiver à se battre ici. Si vous n'y arrivez pas, vous aurez au moins la chance de lui dire au revoir ou de la gronder convenablement. "

Je croisais les bras et leur dis en conclusion :

" En gros, je vous donne l'opportunité, si ça vous chante, de lui rendre une visite surprise à l'Hôtel. Par contre, je vous déconseille de tous débarquer en même temps. "

Si au départ, Sophia avait semblé sceptique quant à faire venir Lucas, les arguments du démon avaient parus la convaincre. Elle proposa d’aller le chercher ensemble pour gagner du temps. Michel acquiesça, il n’y voyait aucun inconvénient et au contraire, cela l’arrangeait même.

La cheftaine lui saisit la main et il se laissa entrainer en dehors du repaire de la jeune femme à travers les murs. Il avait encore du mal avec cette étrange sensation, mais il savait prendre sur lui. Elle l’invita à prendre place dans sa voiture, ce qu’il fit. Une fois installé, elle lui donna quelques indications utiles.

- Alors tu arrives à passer à travers les choses même en étant véhiculée ? Tu es vraiment une femme pleine de surprises ! Commenta-t-il.

Et prévoyante, car elle avait même prévu des sacs à vomis à chaque place de son véhicule. Ce qui n’était pas négligeable. Michel fut soulagé de constater qu’il n’en avait pas besoin. Pendant qu’elle conduisait, Michel prévenait Lucas qu’il avait une urgence et qu’il venait le chercher. Il préféra ne pas lui en dire davantage.

Quand ils arrivèrent, Michel sortit de la voiture et alla chercher Lucas qui l’attendait perplexe à l’endroit indiqué. Evidemment, le jeune humain l’assena de questions :

- Je t’expliquerai, monte en voiture, le temps presse.

Aussitôt installé dans le véhicule et après que Sophia ait répété à Lucas les règles de sécurité, Michel entreprit d’expliquer à Lucas qu’il venait de participer à une mission avec Sophia qu’il lui désigna et Tatiana. A l’évocation de cette dernière, Lucas se braqua, mais son expression se décomposa lorsque Michel lui annonça que la mission avait terriblement mal tourné pour elle.

- Elle est… ?
- Ses jours sont comptés. Lui dit très sérieusement le démon en le regardant droit dans les yeux.

Comme prévu, Lucas n’était pas indifférent au sort de la petite démone. Evidemment, il pouvait être blessant dans ses propos, parfois, mais dans le fond, ce n’était pas un mauvais bougre. Juste un jeune veuf que la vie n’avait pas épargné.

Ils ne tardèrent pas à arriver à l’hôpital où ils furent accueillis par la déesse Azazel en personne. Michel inclina respectueusement la tête et posa sa main sur l’arrière de la tête de Lucas pour le forcer à faire de même. Sophia s’adressa plutôt familièrement à la déesse et s’excusa de ne pas avoir su protéger Tatiana.

La déesse rassura la cheftaine en lui disant qu’elle ne pouvait la sauver d’elle-même. Michel garda ses réflexions pour lui, mais il était bien d’accord avec la divinité. Cette dernière annonça qu’elle avait besoin de Lucas en le pointant du doigt. Comme l’avait dit Michel : Lucas et Tatiana étaient vraiment pareils. Azazel mena le petit groupe jusqu’à la chambre de la victime. Elle leur dit être son médecin et les prévint qu’elle était dans le coma.

Michel vit Lucas devenir livide à la vue de son amie dont le pronostic vital était engagé. La déesse poursuivit ses explications et leur offrit l’opportunité de se rendre dans le monde parallèle qu’elle avait créé et où elle avait envoyé l’esprit de la petite démone. Elle leur offrit l’opportunité d’aller la voir et lui parler là-bas. Mais pas tous en même temps.

- Je pense qu’elle ne sera pas déçue de ne pas voir ma tête. Commenta Michel. Sophia et Lucas sont les plus légitimes pour aller lui rendre visite.

Lucas avait reçu un message de Michel qui lui annonçait qu’il allait passer le chercher, car il avait une urgence. Le démon refusa de lui en dire plus, le laissant dans l’angoisse et la perplexité. Michel ne lui avait même pas dit ce dont il était question… Est-ce que cela concernait les démons lobotomisés ? S’était-il blessé lors d’une mission ?

Michel sortit d’une voiture gris souris dans laquelle il l’entraina sans lui donner plus d’explications. Pour cela, il devrait patienter encore un peu. Lucas salua brièvement la conductrice qui lui dicta quelques règles de sécurité, tandis qu’il bouclait sa ceinture. Cela se passa vite et Michel cracha enfin le morceau : il s’agissait de Tatiana. Lucas se braqua d’abord : il n’avait franchement pas envie de parler d’elle pour le moment, il n’avait toujours pas digéré ce qu’elle lui avait fait. Mais Michel poursuivit et Lucas oublia aussitôt ses rancœurs à l’encontre de la démone fan de hot dog.

Il voulut aussitôt savoir si elle était encore envie, mais les mots restèrent bloqués à l’intérieur de sa gorge nouée. Michel lui dit franchement que ses jours étaient comptés. Lucas baissa les yeux, incapable de soutenir le regard du démon, trop choqué qu’il était par cette triste nouvelle.

Lucas resta silencieux le restant du trajet qui ne fut pas long jusqu’à l’hôpital. Lorsqu’ils descendirent de la voiture, ils furent accueillis par la déesse en personne. Lucas resta coi. Michel le força à incliner la tête. Il se laissa faire, trop éberlué par tout ce qu’il se passait autour de lui. Il ne réalisait même pas qu’il était face à une divinité.

Azazel les guida jusqu’à la chambre d’hôpital où se trouvait Tatiana. Lucas cru bien défaillir en voyant son amie aussi vulnérable. Cela remonta également de douloureux souvenirs. Il ne voulait plus avoir à revivre la perte d’un être cher. Il ne savait pas comment il avait fini par s’attacher à Tatiana, cela s’était fait naturellement, sans qu’il ne s’en aperçoive… Et la voir ainsi lui déchirait le cœur.

- Tatiana !...

Azazel le coupa court : elle ne pouvait et ne voulait pas l’entendre. La déesse expliqua que l’esprit de son amie se trouvait au royaume de songes, dans l’hôtel California, où elle n’éprouvait aucune douleur physique. L’inconvénient, c’est que si elle n’avait pas la volonté d’en sortir, elle pourrait mourir. Il fallait soit réussir à la convaincre de lutter pour sa vie – encore ! – soit se résoudre à lui faire ses adieux…

- Je veux la voir. Décréta Lucas qui n’avait aucune idée de ce dans quoi il s’embarquait.

Azazel me dit que je ne pouvais la sauver d'elle-même : cela me réconforta même si cela m'agaçait en même temps. J'avais l'impression d'être spectatrice de sa chute sans rien pouvoir y faire et c'était insupportable. Il y avait forcément un moyen de la sauver sinon Azazel ne se serait pas déplacée en personne : elle m'aurait envoyé un message rapide et voilà. J'espérais voir juste et quand elle dit avoir besoin de nous, je restais des plus attentive. J'étais prête à tout mais elle pointa l'autre ! Encore et toujours monsieur Lucas. La déesse légitime de ce nom lui dit que lui et Tatiana étaient pareils et qu'ils disaient ne pas avoir besoin de l'autre mais dépérissaient sans l'autre. Cela me fit un pincement au coeur. Alors le sort de ma petite soeur de coeur reposait sur lui ? Franchement, moi j'avais peur vu comme ils semblaient être stupides tous les deux !

Nous avancions et atteignions enfin sa chambre. Azazel nous expliqua être son médecin et expliqua que Tatiana était dans le comas et que son pronostic vital était engagé. Elle nous incita à entrer avec elle. J'avais envie de défoncer la porte de rage envers moi-même. Je pouvais la perdre... Peut-être était-ce trop tard.

J'entrais finalement et fut visiblement aussi bouleversée que Lucas. Je blémis et je ne pus retenir des larmes. C'était concret et franchement, on m'aurait dit que dans une heure elle serait morte, je n'aurai eu aucune peine à le croire. C'était terrible.

" Tatiana... "

J'allais lui dire plein de choses comme le fait qu'elle avait connu pire, qu'elle se remettrait et nous enterrerait tous mais Azazel coupa court à mes paroles et celles de Lucas. Elle expliqua que Tatiana ne pouvait et ne voulait pas nous entendre. Elle était dans l'hôtel California - je connaissais de nom. Elle avait demandé à y être et ne ressentait aucune douleur physique là-bas mais il fallait en gros qu'elle revienne sans quoi elle mourrait. Nous pouvions aller la rejoindre et la motiver à revenir ou la gronder. Je me sentais concernée pour la seconde option:

Michel botta en touche, Lucas se porta volontaire et je fis comprendre ma position :

" J'irai la tirer par les fesses des enfers pour qu'elle revienne au pas ! Je refuse qu'elle applique sa politique de sacrifice pour remplacer Anna et les bébés ! Je vais lui faire chauffer les oreilles ! J'en n'ai rien à cirer qu'elle n'a pas de famille et pas d'amis selon elle et que personne ne la regrettera ! Je ne veux pas qu'elle meure alors qu'elle aime tellement les autres sans jamais oser le dire ! Elle donne tout ce qu'elle a pour les autres, les pauvres, la révolution, lui, et quoi, elle peut mourir. Ça non. "

Je soufflais et essayer des larmes de rage.

" Désolée, ça devait sortir mais je vais la pourrir Azazel, c'est promis ! Moi aussi je veux la voir et si je peux avoir de la corde pour la ligoter, je n'hésiterai pas. "

Tout était dit. J'étais satisfaite que Sophia se soit emballée et ait deviné ce qui bloquait Tatiana dans l'hôtel. Il n'était pas que question de confort mais bien du fameux deal qu'elle voulait appliquer. Là-bas elle pourrait mourir sans souffrance et espérait ramener Anna et les bébés plus vite. C'était stupide, je lui avais déjà répété un nombre incalculable de fois qu'il ne s'agissait pas de négociation mais juste d'une impossibilité de ma part. Tant qu'Era ne sera pas vaincue, je ne pouvais m'engager sur ce terrain et après je verrais ce que ses dons pourraient me laisser faire. Si cela se trouvait je n'aurai pas la main sur ceux décédés du temps d'Era par exemple, je n'en savais rien. Peut-être que je pourrai le faire mais donc dans très longtemps. Franchement, je n'avais pas de réponse mais ça ne lui allait pas. J'avais fini par ne plus répondre. Elle pensait sans doute que je finirai par craquer en agissant ainsi. Bref, c'était du Tatiana.

" J'autorise Lucas en premier, il est plus calme. S'il n'arrive à rien ou a des difficultés, Sophia le rejoindra pour lui tirer les oreilles. "

Mais j'avais peu d'espoir qu'elle la ramène. En vérité tous mes espoirs étaient sur Lucas. Je le regardais et lui dis :

" Je suis désolée de te faire intervenir Lucas mais je pense que ce sera au moins une bonne chose qu'elle puisse te saluer une dernière fois. "

Je le fis s'assoir, lui expliquant qu'il ne risquait rien dans l'hôtel que ce n'était qu'un rêve. Il ne pouvait pas y mourir, tout était faux et que pour se réveiller il suffisait de franchir la porte d'entrée qui restée désormais toujours ouverte. Je précisais même que le temps était décalé donc qu'on pouvait y passer des jours et n'être parti qu'une heure dans la réalité. J'envoyais donc Lucas dans l'hôtel tandis que Sophia restait auprès du corps de Tatiana. Pour ma part, je m'assis sur une chaise et proposais à Michel d'en faire autant.

" Dites-vous, même si c'est difficile, que vous ne pouvez qu'ouvrir la porte de son retour mais elle est la seule à la franchir. Si elle ne le fait pas, ce ne sera que sa responsabilité. J'essaie de l'aider parce que j'estime que ce serait du gâchis de la laisser partir. Je suis sûre qu'elle peut encore accomplir des choses. "

Je sortis un paquet de chips et en proposais. Nul besoin d'être déprimé : si c'était son destin, tel seraient les choses. Remarque, il était toujours plus facile d'être détaché émotionnellement pour une déesse je suppose. Remarque, ça aurait été mon chaton, j'aurai été dans un sacré état.

Lucas eut un choc en entendant la dénommée Sophia s’énerver en citant Anna et les bébés. Le pauvre veuf était perdu, il ne savait plus quoi penser. Que venaient-ils faire dans l’histoire ? Tatiana voulait sacrifier sa propre vie en échange de la leur ? Etait-ce possible ? N’importe quoi ! Si les morts revenaient à la vie, ça se saurait ! Et puis, il lui avait pourtant dit de ne plus se mêler de ses affaires, qu’est-ce qu’elle ne comprenait pas là-dedans ? Si elle voulait se suicider, qu’elle n’utilise pas Anna et les jumeaux comme prétexte ! C’était déjà bien trop à supporter pour en plus ajouter un tel poids sur la conscience de Lucas. Cela aussi, il faudrait qu’il le clarifie avec elle : elle ne lui devait rien. Et surtout, sa vie comptait, elle était précieuse et ne devait pas la gaspiller.

La déesse autorisa Lucas à rejoindre Tatiana en premier, arguant qu’il était le plus calme. S’il n’arrivait pas à faire entendre raison à Tatiana, la déesse laisserait Sophia prendre le relais. Lucas n’était pas certain d’arriver à motiver Tatiana à revenir. Pourquoi le ferait-elle ? Leur relation n’était pas véritablement définie et elle était compliquée. Etait-elle une alliée ou une amie ? Quels sentiments alimentait-elle à son égard pour vouloir sacrifier sa vie en échange de ramener Anna et les jumeaux ? Ou bien était-ce ce que l’on appelle le syndrome du héros ?

Lucas leva un regard rempli de désarroi lorsque la déesse évoqua la possibilité qu’il la voie pour la dernière fois. Et si malgré tout elle décidait de ne pas revenir ? Azazel précisa que cela relevait de l’entière responsabilité de Tatiana. Mais tout de même, Lucas en avait assez de se sentir impuissant. Il aurait aimé pouvoir aider Tatiana et continuer à œuvrer ensemble pour un monde meilleur…

Elle le fit asseoir sur une chaise et lui expliqua qu’il ne risquait rien à l’hôtel California, car ce n’était qu’un rêve. Lucas eut un peu de mal à saisir l’idée, mais retint tout de même les informations données par la déesse. Lucas perdit connaissance dans le monde réel, envoyé par la divinité dans l’étrange hôtel California, dans l’espoir de ramener Tatiana.

Michel était resté en retrait et s’était contenté d’être attentif à ce qu’il se passait autour de lui. Lorsqu’il avait proposé de faire venir Lucas, il n’avait pas imaginé que la déesse enverrait son petit protégé dans le monde des songes et il ne savait pas trop qu’en penser… Difficile de veiller sur son cher Lulu dans un univers parallèle où il n’avait pas accès. Cependant, la déesse assura qu’il ne risquait rien et qu’il pouvait en revenir à tout moment : il lui suffirait de franchir la porte d’entrée de l’hôtel imaginaire. Bon, Lucas devrait pouvoir être capable de franchir une porte, ça ne semblait pas bien compliqué.

La déesse fit savoir que Tatiana était le seule responsable de sa destinée et qu’ils n’y pouvaient rien si elle ne revenait pas. Michel était bien d’accord, mais il espérait tout de même une meilleure issue pour la petite demoiselle et son humain qui semblait s’être attaché à elle à son insu.

Azazel fit s’asseoir Lucas et lorsque ce dernier fut endormi, elle s’installa et se mit à manger des chips comme si tout cela n’était qu’un simple feuilleton télévisé. Michel se sentait un peu plus concerné et déclina la proposition de la divinité. C’est sûr que ce n’était pas Era qui aurait proposé de partager quoique ce soit avec autrui, néanmoins, Michel ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait tout de même un monde de différence entre les déesses et les autres. Il se demanda s’il existait d’autres divinités à part Era et Azazel. Tant qu’à faire passer le temps, autant se renseigner directement :

- Dites-moi, divine Azazel, mise à part Era et vous, existe-t-il d’autres divinités ?

Nous n'avions plus qu'à patienter. Je surveillerai de loin, évidemment mais sans leur partager l'avancée : c'était leur histoire. Ils auraient bien le droit de dire et faire ce que bon leur semblait sans que j'ai à tout raconter. Le seul objectif était de la faire revenir, si possible. Je dégustais les chips pendant que j'entendais Tatiana me hurlait dessus, pensant qu'elle n'avait pas le vrai Lucas. Cela me fit mourir de rire intérieurement mais je me retins et contentais de sourire en mangeant mes chips. Michel et Sophia avaient tous deux décliné mon offre. Tant pis pour eux.

Michel me ramena un peu plus avec eux en me demanda s'il existait d'autres divinités. Je souris, amusée que ce soit une question aussi intéressante que pertinente. Ce petit était plus intéressant que je l'aurai pensé. Je commence à comprendre pourquoi Sophia l'avait inclu dans le groupe. Ce n'était pas que pour son air de beau garçon humain.

" Hé bien, en voilà une bonne question Michel. "

Je hochais la tête comme pour le féliciter ainsi que Sophia et poursuivis.

" Effectivement. Il y en a pas mal mais ils ne sont pas du genre à se montrer ni aux humains, ni aux autres. Nous sommes tous assez indépendants : chacun fait ce qu'il aime faire et n'interfère pas avec les autres. La règle voudrait donc que je laisse Era torturer ses créations parce qu'elle les a créées mais je n'aime pas suivre les règles bêtement. "

Je pensais à mon père que je supposais très occupé puisque je ne l'avais pas vu. Je me demandais bien quel dieu il pouvait être. Si j'avais eu une mère plus sympathique, j'en aurai sans doute su plus.

" Malheureusement je n'ai pas de vrai listing à te donner. Ma mère n'a jamais voulu me donner le nom des autres dieux mais je pense qu'il doit y avoir un dieu de l'espace temps. Pour le reste, je ne préfère pas m'avancer car je n'en sais rien. J'en saurai plus quand j'aurai battu Era car j'aurai gagné une place bien placée. Elle communique avec d'autres Dieux et je pourrai savoir lesquels à ce moment-là. "

Je tapotais mes mains joyeusement.

" J'ai hâte ! En espérant ne pas tomber sur des Dieux encore plus fous que ma m... qu'Era. "

Je les regardais tous les deux et leur dis :

" Sinon, vous pouvez vous boire un verre et manger à un fast food. Il y en a un à côté. J'avertirai Sophia si besoin. De toute façon, je veille sur eux. Il ne peut rien leur arriver. Promis, je ne vous ferai pas un sale coup. Je n'en ai aucune raison et puis, je pense que Sophia gagnerait à être un peu plus détendue et plus positive si elle devait prendre la relève. "

Je n'étais pas sûre que le message était claire aussi je mis les pieds dans le plat. Je posais mon paquet de chips et pris leurs mains pour les poser l'une sur l'autre et les incitais à partir.

" Allez, zou ! Allez vous détendre ensemble, que vous mangiez ou non je m'en fiche. Aérez-vous c'est un ordre. "

Oui ça me permettait aussi d'esquiver des questions plus sensibles. Cela faisait une pierre deux coups.

Lucas s'était endormi et maintenant il n'y avait plus qu'à attendre. L'attente me prenait aux tripes. Bien évidemment, je refusais les chips. Je n'aurai rien pu avaler. À vrai dire, à ce stade j'étais plutôt prête à vomir d'angoisse. J'admirais Michel qui posa une question à Azazel : il arrivait à penser à autre chose qu'aux deux zigotos. Au moins cela eut l'avantage d'apporter un sujet intéressant. La divinité ne détourna pas la question et expliqua qu'il y avait effectivement d'autres divinités mais qu'elles n'interféraient pas entre elles d'habitude. Même Azazel ne les connaissait pas toutes. J'étais assez surprise que des choses lui soient inconnues. Comme quoi, le monde est vaste et parfois flou même pour les divinités. Il aurait été bien ceci dit qu'elle se fasse aider par d'autres divinités dans son combat. Ça aurait été un atout majeur. Mais bon, je n'écoutais déjà plus vraiment, regardant Tatiana, morte d'inquiétude pour sa survie. Et si cette imbécile ne revenait pas ? Pitié, faites qu'elle ne soit pas si stupide.

Je fus sortis de mes tracas par Azazel qui proposait à Michel et moi d'aller boire un verre et de manger à un fast food. Mon regard montra que je n'avais pas du tout envie de faire cela. Tout de suite je voulais rester à son chevet... mais Azazel s'en fichait et me forçait à me lever ainsi que Michel et posa nos mains l'une contre l'autre. Elle voulait que l'on s'aère même si on n'avait pas l'intention de manger.

Je vis à son regard et surtout au fait qu'elle nous ficha à la porte qu'elle était sérieuse. Je doutais que la question de Michel ait provoqué sa réaction. Je supposais qu'elle me trouvais vraiment à cran et c'était assez vrai. Je soupirais et dis à Michel :

" Désolée, j'aurai été plus calme je suppose qu'on aurait pu rester mais bon, je vois mal comment je pourrai rester insensible. "

Je croisais son regard et lâchais sa main pour lui attraper le bras.

" Elle nous a ordonné de bouger : mieux vaut ne pas la fâcher. On va faire sagement ce qu'elle a dit, je vais me détendre. On va voir si on trouve son fameux endroit. "

Il ne fut pas difficile de s'y rendre : il était à deux pas de la sortie. Le fast food était en réalité mobile et pouvait rouler de destination en destination. Ce soir, il avait décidé d'être là. Il y avait quelques clients. Je lançais un regard à Brady.

" Je n'ai pas faim, je n'ai pas soif. Franchement, je vais éviter de vomir sur son comptoir... même si ça m'aurait au moins permis de rire un bon coup de voir la tête du gérant. "

J'eus un très léger sourire avant de lui concéder que cette blague était un rien crade et m'excusais de l'avoir sortie.

La déesse fit remarquer à Michel que c’était une bonne question. Loin de s’offusquer de la curiosité du démon, elle lui répondit en toute sincérité qu’il existait bien d’autres divinités, mais qu’elle ne les connaissait pas. Les divinités étaient indépendantes, elles ne se mêlaient pas aux mortels et n’interféraient pas dans les affaires de leur semblable. La déesse Azazel évoqua sa mère. Michel en déduisit donc que les dieux avaient des liens de parentés, au même titre que les anges, les démons et les humains. Azazel expliqua que lorsqu’elle aurait vaincu, elle pourrait communiquer avec les autres divinités. Elle ne dissimula pas son enthousiasme et espérait que les autres dieux ne seraient pas aussi fous que sa m… qu’Era.

Michel se demanda ce qu’elle avait voulu dire qu’elle s’était ravisé de révéler. Sa mamie ? Sa marraine ? Ou sa mère qu’elle avait déjà évoquée auparavant ? La dernière option paraissait la plus plausible, mais Michel n’eu pas l’opportunité de creuser la question car Azazel entreprit de les mettre dehors en leur assurant que leurs protégés ne risquaient rien. Mais pourquoi avait-elle fait en sorte que Sophia et lui se tiennent la main ? Michel n’avait aucune idée de la façon dont il devait interpréter ce geste. Etait-ce un truc de divinité ?

Le démon jeta un coup d’œil à Lucas endormit. Depuis le décès de sa bien-aimée, ce pauvre humain semblait enchainer les mésaventures… Tiendrait-il le choc ? Les anges, les démons, les dieux, Anarchy et maintenant le monde des songes… Cela faisait beaucoup pour un simple humain qui jusqu’alors ignorait tout de ces choses là. Pas étonnant que Lucas soit si tendu et nerveux. Beaucoup d’humains lambda n’auraient sans doute pas tenu le choc. Mais lui s’accrochait et prenait une part active dans ce conflit pour se venger. C’était même cet objectif qui l’aidait à tenir. Mais qu’adviendrait-il de lui lorsqu’il aurait trouvé l’ange criminel et assouvit sa vengeance ? Cependant, sa relation avec Tatiana laissait entrevoir que tout espoir n’était pas perdu pour Lucas, car elle lui offrait de nouvelles perspectives. En effet, son protégé avait vaguement l’idée d’ouvrir un restaurant qui servirait des hot-dog gastronomiques pour lutter contre le fléau de la malbouffe. Quand Michel avait voulu en savoir plus, il s’était contenté de hausser les épaules et s’était refermé, mais le démon estimait que c’était déjà un bon début.

- Je vous le confie, divine Azazel. Décréta Michel en arborant son sourire séducteur.

Sophia et lui quittèrent la clinique. La cheftaine s’excusa en lui disant que si elle avait été plus calme, ils auraient probablement pu rester, mais elle ne pouvait pas rester insensible au sort de Tatiana, ce qui était compréhensible. Elle croisa son regard et lui lâcha la main pour lui prendre le bras avant de répéter les ordres de la déesse. Elle n’avait cependant pas d’appétit, lui non plus… Sophia fit une blague douteuse qui fit à la fois sourire et grimacer le démon.

- On va éviter ça à ce pauvre gérant. On peut aller faire un tour sur la grande roue si tu veux ? Ca ne vaut pas un tour en montgolfière, mais ça a le mérite d’être plus facile d’accès.

Enfin Tatiana était prête à se réveiller, tout comme Lucas mais c'était moins une surprise pour lui. J'avais temporisé leur retour dans la réalité : nous n'étions pas à quelques minutes près et elle et Lucas ne percevraient même pas l'attente. Et je supposais que Sophia aurait été dans tous ses états qu'elle se réveille alors qu'elle était encore dans la roue avec Michel. Quand ils entrèrent, je leur fis signe de rester au fond de la salle. J'avais d'ailleurs installé Lucas au fond également. Je les prévins :

" Je crains qu'au réveil Tatiana soit un rien douloureuse et qu'elle ait le réflexe de brûler un peu tout. C'est un réflexe chez elle, elle n'arrive pas à le contrôler, pour le moment. Je vous ai donc prévu à chacun des couvertures anti feu si besoin et j'ai rendu la pièce et ses éléments ininflammable. "

J'allais leur dire à tous deux de rester au fond mais je savais d'avance que Sophia allait sortir son dictionnaire des arguments expliquant pourquoi elle ne resterait pas au fond et serait aux premières loges. Pour lui éviter cette peine, je levais l'index et continuais :

" Oui, Sophia, tu peux rester à son chevet parce que tu as ton don et que tu as l'habitude de gérer ses crises. Puis je pense qu'elle sera heureuse d'avoir quelqu'un d'autre que moi à ses côtés à son réveil. Je te laisse donc l'honneur et je vais au fond avec les autres. Ceci dit, je compte sur toi pour la calmer au plus vite. "

Je me mis cependant devant Michel et Lucas pour les stopper au cas où leur viendrait l'idée stupide de se lancer dans les flammes. Ceci dit, j'avais donné à chacun une petite pique et des shamallows. Autant rendre l'attente agréable et dédramatiser la situation. Nous voir larmoyant ne l'aurait pas aidée. Au pire, elle pesterait et ce serait plus positif pour elle. Personnellement, je n'étais pas trop inquiète pour la demoiselle : si son état était sérieux, elle avait les ressources en elle pour surmonter tout cela. Je misais pour sa survie et j'espérais avoir raison sinon beaucoup seraient malheureux, c'était certain.

D'ailleurs, ça y était : Lucas ouvrait les yeux le premier et quand il fut conscient et assis, Tatiana commença à cligner des yeux. Je leur dis :

" Préparez-vous, ça va chauffer. "

J'avais hâte que tout soit résolu et que je puisse raconter cette histoire à mon minou.

Lucas ne trouva pas ma proposition stupide et me serra la main. Je me sentis soulagée et plus courageuse, sur le moment. Nous nous dirigions vers la porte tandis que mon coeur battait de plus en plus fort. En la regardant au loin j'avais des sueurs froides et je sentais les larmes me monter aux yeux. Allais-je y arriver ? Était-ce la bonne chose à faire ? Toute une partie de moi voulait tout abandonner et repartir en arrière mais j'entendis mon Chef préféré faire la voix de la raison :

- Ca va aller, rappelle-toi : tu n’es pas seule et tu en as vu d’autre, tu vas t’en sortir.

Je hochais la tête et serrais sa main un peu plus fort pour me donner du courage. Il fallait que je le fasse sinon je ne verrais rien de ce que l'on s'était promis... Puis je savais bien que je ne pourrai fuir éternellement la réalité si je voulais y vivre. Ce serait un très mauvais moment à passer mais ils seraient tous là... Lucas aussi.

La porte était devant nous. Je tremblais malgré moi.  

- Prête ? A trois, on y va ensemble, ok ?

Lucas ne me laissa pas le temps d’hésiter ou de réfléchir et tant mieux. J'aurai bien eu du mal à m'élancer de moi-même. C'était comme sauter dans un gouffre sans parachute.

- Un… deux… trois !

Je serrais sa main comme jamais et le suivis pour ne pas la perdre. Je l'entendis me souhaiter courage avant de sentir les choses revenir. Je sentis sa main disparaitre un moment et sentis la douleur revenir de plus en plus vivement. Mon souffle était court, mon corps lourd, mon coeur peinait à battre. La douleur fut si vive que j'avais l'impression de brûler de l'intérieur, que tout me lâcher. J'avais l'impression d'être en chute libre, j'agitais les bras et revis les anges essayer de me tuer petite. Je paniquais et hurlais à mourir avant de tout brûler autour de moi. J'avais les yeux fermés mais j'étais de retour dans mon corps. Je sentis mon poignet taper un bord métallique. Je ne réalisais pas encore qu'il s'agissait du lit. Je manquais de tomber du lit quand j'entendis une voix familière me parler.

- Tatiana, ouvre les yeux. Je suis là, c'est fini. Calme-toi, ne dépense pas toute ton énergie, tu en as besoin.

J'ouvris les yeux sans pour autant arrêter mes flammes. Je vis qu'elle était à mes côtés grâce à son don de passe-muraille. Elle souriait mais m'invitais une fois de plus à arrêter de tout brûler. J'étais trop angoissée pour me calmer. Je crois qu'elle dut le voir dans mon regard. Elle trouva les mots :

- Lucas est juste là, au bout de la pièce. Tu ne veux pas le brûler, pas vrai ?

Mon regard encore un peu flou s'orienta vers le fond de la pièce et j'entrevis des formes. Je reconnus celle de Lucas, de Michel et d'Azazel. Olala... J'allais vraiment tout foutre en l'air. Rien que l'idée que je puisse blesser ou tuer Lucas pris le dessus et me coupa net quelques secondes plus tard. Je gémissais et me recroquevillais sur moi-même. J'avais tellement mal mais j'avais arrêté... Je ferai ce qu'il fallait pour qu'ils puissent sortir.

" Ils peuvent sortir... maintenant. "

J'avais usé tellement d"énergie à dire ces quatre mots. Ma bouche était si sèche.
Sophia redevint tangible et me posa la main sur l'épaule. Elle semblait si forte et moi si faible. J'avais l'impression que rien qu'avec ce geste, j'aurai pu glisser du lit. Ceci dit, je supposais qu'elle veillais à ce que ça n'arrive pas.

- Ils vont rester un peu et au moins te saluer, je pense ? En tout cas bravo : tu es revenue. Ça va aller, d'accord ? On est là. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu le dis.

Je ne répondis pas et fermais les yeux. J'avais terriblement mal partout. En fait, je ne savais pas identifier une zone non douloureuse. C'était étrange car je n'étais pas non plus passée sous un tracteur. Ce n'était qu'une balle à priori. Pourtant j'avais vraiment une douleur atroce. Je n'avais envie de rien du tout à part peut-être de la main de Lucas. Je me mis à pleurer sans trop comprendre si c'était la douleur, l'émotion ou un peu de tout qui en était la cause. Je n'avais pas vraiment la force de réclamer quoi que ce soit.

Azazel nous expliqua que Tatiana risquait de tout brûler. Elle avait tout préparé dans cette perspective : la pièce, les équipements de protection. Je supposais qu'elle allait nous ordonner d'attendre qu'elle prenne les choses en main mais il en était hors de question. J'avais déjà zappé l'étape de l'hôtel : je comptais bien montrer à la blondinette que j'étais là moi aussi. Je n'étais peut-être pas aussi attractive que son Lucas mais j'avais le mérite d'avoir toujours été à disposition dans les moments graves. Encore aujourd'hui, je le lui rappellerai indirectement et à Azazel aussi. Déesse ou non, c'était à MOI d'être à ses côtés et s'il fallait plaidoyer j'étais prête. Remontée comme une pendule, j'allais prendre solennellement la parole quand Azazel leva l'index. Elle me coupa l'herbe sous le pied et m'autorisa à rester à son chevet mais me donna la mission de la calmer au plus vite. Je hochais la tête et me mis en position, laissant Michel avec son protégé. Chacun le sien, je suppose.

La déesse ne trouva rien de mieux que de préparer son barbecue shamallow : une vraie gamine ! Des fois, son humour me dépassait totalement. On était quand même dans une situation critique. Je l'aurai bien remise à sa place mais je n'avais pas le temps. Seule Tatiana comptait. Je refusais la sucrerie et attendais le fameux réveil. Lucas fut le premier et eut le temps de bien émerger. Je regardais Tatiana et tapotais son épaule.

" Allez, réveille-toi aussi... C'est ton tour Tatiana. "

Par chance ou parce qu'elle m'avait entendu, elle commença à réagir. Ses paupières bougeaient et ses yeux clignaient sans pour autant qu'un regard soit encore là. Azazel avertit que ça allait chauffer. J'avais déjà enclenché mon don quand l'attaque fulgurante de flammes jaillit. Ça ne rigolait pas ! Je pense que le shamallow d'Azazel n'y résisterait pas ni ses piques. D'un sens, tant mieux. Franchement, elle aurait pu l'attaquer de se moquer de la sorte.

Je me concentrais sur celle qui était un peu comme ma petite soeur et je lui dis d'une voix douce :

" Tatiana, ouvre les yeux. Je suis là, c'est fini. Calme-toi, ne dépense pas toute ton énergie, tu en as besoin. "

Je la vis ouvrir les yeux. Je souris en sentant un grand soulagement m'envahir. J'avais envie de la serrer dans mes bras. Ma petite Tatiana était de retour. Ma guerrière ! Ma furie ! Ma tête de linotte ! Maintenant qu'elle était consciente, j'essayais de lui rappeler qu'elle avait son don très activé et qu'il pourrait être bien de réduire un peu la puissance voire de l'arrêter. Si elle semblait entendre et comprendre mes propos, ses émotions semblaient avoir trop le dessus. Elle ne contrôlait rien. Que pourrais-je bien lui dire pour la forcer à cesser ? Franchement, pour moi ça allait mais pour Michel et Lucas ça craignait. Mais oui, c'était ça !

" Lucas est juste là, au bout de la pièce. Tu ne veux pas le brûler, pas vrai ? "

Je la vis réaliser que d'autres personnes étaient là et que ce cher Lucas était vraiment proche. Cela pris quelques secondes mais tout s'arrêta pour mon plus grand soulagement. Elle gémissait trop pour m'entendre mais je la félicitais.

" Bravo ma grande. "

Elle se recroquevillait et ne semblait vraiment pas en forme.

- Ils peuvent sortir... maintenant.

Elle voulait tenir pour tout relâcher ? Ah non, elle devait garder ses forces et puis elle était en sécurité. Il fallait qu'elle retrouve des émotions positives. Pour cela, je redevins tangible et essayais de lui faire une caresse sur l'épaule. Elle était si proche du bord, qu'elle bougea un peu. Je la replaçais bien doucement pour qu'elle ne risque plus de tomber et tournais mon regard vers les autres.

" Ils vont rester un peu et au moins te saluer, je pense ? En tout cas bravo : tu es revenue. Ça va aller, d'accord ? On est là. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu le dis. "

J'invitais ceux qui le voulaient à s'approcher et à venir la voir.

Lucas se réveilla et remarqua qu’il était à nouveau à l’hôpital, dans la chambre de Tatiana. Il lui fallut un petit moment pour reprendre ses esprits. Cette expérience qu’il venait de vivre était pour le moins étrange, comme s’il revenait d’un univers parallèle… N’était-ce d’ailleurs pas le cas en fin de compte ? Confus, il porta son attention sur Azazel qui annonçait « ça va chauffer ». Il ne comprit pas directement ce qu’elle voulait dire par là, jusqu’à ce que des flammes surgissent de Tatiana qui était visiblement en souffrance.

- Tatiana… Murmura-t-il un peu sous le choc.

Il avait déjà vu les démons d’Anarchy utiliser le feu, c’était toujours impressionnant et parfois même effrayant, il devait bien l’admettre. Voir Tatiana perdre la maîtrise des flammes le secoua intérieurement et il ne pouvait détacher son regard de la démone auprès de qui se tenait Sophia au travers de qui les flammes passaient sans la blesser. Michel se tenait près de lui, en éternel protecteur, mais pour l’heure et étant donné les circonstances, ça le rassurait de le savoir à ses côtés.

Lucas n’entendit pas ce que dit Sophia à Tatiana, mais les flammes cessèrent et la démone demanda à ce qu’ils sortent maintenant, mais la cheftaine de Liberty les incita à rester et à saluer la blessée. Intimidé, Lucas resta immobile. Avait-il peur de Tatiana ? Etait-il gêné par la présence de tout ce monde entre eux ? Il n’aurait sur le dire… Peut-être un peu des deux ? Michel fut le premier à saluer Tatiana et à lui dire qu’il était content de la savoir de retour. Le démon aux airs de grand séducteur lança un regard à Lucas et lâcha une plaisanterie pour détendre un peu l’atmosphère :

- Bah alors mon Lulu ? Tu as perdu ta langue à l’hôtel ?
- C’est pas l’moment de plaisanter… le sermonna-t-il. Tatiana a besoin de repos et a demandé à ce qu’on sorte, alors je reviendrais plus tard.

Le jeune homme se redressa et quitta la pièce. Aussitôt sorti de cette chambre étouffante, il se senti soulagé. Mais en même temps, il se reprochait son comportement. N’avait-il pas dit à Tatiana qu’elle pourrait compter sur lui ? Qu’elle n’était pas seule ? Mais c’était sans compter sans ses flammes infernales qu’elle n’avait pas l’air de contrôler. Lucas flippait et s’en voulait d’éprouver cette peur irraisonnable alors qu’elle avait besoin de lui en ce moment difficile…

Après mon invitation, Michel fut le premier à s'approcher et à saluer Tatiana. Il lui dit être content de la savoir de retour. Je lui souris, contente qu'il ait fait ce geste. Je m'attendais à ce que Lucas soit le suivant mais il prétexta que Tatiana avait besoin de repos et avait demandé à ce qu'ils sortent. Il allait donc revenir plus tard sans même un mot pour elle.

* Non mais je rêve ?! Purée c'est exactement pour ce genre de comportement que je déteste leurs purées d'histoires d'amour. Non mais il est sérieux ?! *

J'avais vraiment envie de l'éclater contre un mur. Non ce n'était pas exagéré et oui j'en étais totalement capable. Mettez-moi au défi... Ma Tatiana était mourante, elle avait fait l'effort de revenir en partie pour lui et c'était trop de juste lui dire "coucou" ? Mon sourire était parti très loin se cacher, ce que toute personne sensée aurait fait quand j'étais énervée. Je jetais un oeil à Tatiana qui était recroquevillée. Elle n'allait pas bouger. Je fis un signe à Azazel pour qu'elle la veille le temps que j'aille voir l'autre.

Je me dirigeais vers lui et essayais de comprendre pourquoi il était là et pas auprès d'elle. Je repensais aux flammes et me dis qu'il avait sans doute été impressionné voir apeuré. Il n'avait pas l'air d'être ce genre de type, quand on écoutait Tatiana il fonçait dans le tas tuer des anges à coup de pistolet. M'enfin, visiblement il n'était pas aussi téméraire face à elle. Je lui laissais le bénéfice du doute pour ne pas être trop dure avec lui et je ferai des efforts UNIQUEMENT parce que Tatiana avait besoin de lui.

* Un petite effort... Si Tatiana meurt parce que tu l'as fait partir, tu ne te le pardonneras jamais. Fais comme quand tu gères les idiots d'Anarchy quand ils font foirer tes plans... Prends des pincettes. *

Mon sourire réapparut, contraint et forcé, tandis que je l'approchais. Je croisais les bras et lui dis d'une voix se voulant amicale :

" Hey, salut Lucas... "

J'avais accentué son prénom malgré moi mais me repris. Je parlais assez bas pour que Tatiana ne puisse pas nous entendre.

" J'ai une faveur à te demander, je suis désolée de le faire. Je ne suis pas du genre à demander quoi que ce soit à qui que ce soit mais je le fais pour elle. "

Je fis en sorte qu'il me regarde, mettant mon visage dans l'axe où il regardait ou si nécessaire je lui attraperait le visage doucement s'il esquivait.

" Tu vas lui dire bonjour, salut, lut, c'est Lucas ou ce que tu veux. Juste un mot qu'elle puisse au moins avoir eu la sensation que tu étais réellement là avant de partir. "

Je supposais qu'un peu de contexte ne lui ferait pas de mal et je ne pouvais m'empêcher d'en mettre de toute façon.

" Elle t'a vu de loin, avec les flammes mais sans doute vaguement. Elle a stoppé son don par peur de te blesser parce que je lui ai dit que tu étais là pas loin. Puis, elle est revenue de l'hôtel affronter des douleurs qui ont l'air terrible. "

Je serrais le poing et me sentis obligée d'expliquer le langage de Tatiana.

" Tu ne la connais sans doute pas assez mais quand Tatiana te dit de partir quand elle va mal, elle le fait uniquement parce qu'elle croit que c'est ce que l'on veut au fond. Si tu pars sans la saluer, je ne veux pas savoir ce qui va se passer dans sa tête et c'est pas le moment qu'elle retombe en dépression. Là c'est le moment où elle doit sentir qu'on est là pour elle dans la vraie vie. "

J'étais trop dure. Elle serait mécontente mais tant pis. Je ferai en sorte qu'il m'écoute jusqu'au bout. Il le fallait. Non, je ne le laisserai pas partir qu'importe le moyen. Il devait rester juste pour qu'elle l'air entendu.

" Ah désolée je suis dure mais je ferai tout pour qu'elle tienne le choc et elle a besoin de ton soutien. Si c'est le feu qui te fait peur, je te tiendrai la main et je partagerai mon don d'intangibilité. Si elle libère des flammes tu ne sentiras rien du tout... mais franchement, je doute qu'elle te touche. Elle a tout stoppé tout à l'heure par peur de te faire du mal alors que c'est terriblement difficile pour elle de le faire. Elle n'a jamais fait de même pour moi même avant mon don donc... J'avoue que c'est un poil vexant mais ça, tu n'y peux rien. "

Je ris jaune et conclus après avoir soufflé :

" Je sais que je suis pénible quand je suis énervée. Pardon... Mais si Tatiana meurt je ne me le pardonnerai jamais et si tu es venu la voir, que tu as été dans l'hôtel c'est qu'elle doit compter un minimum pour toi. Peut-être qu'elle a été dure à l'hôtel, je n'en sais rien. Mais je peux te certifier qu'elle ne m'a jamais autant parlé de quelqu'un de sa vie et qu'elle tient à toi plus qu'elle ne le dira. Alors... S'il te plait, dis-lui au moins un bonjour. Ce dont elle a vraiment besoin, c'est de toi là tout de suite. "

Mes yeux étaient embués de larmes. J'avais vraiment peur de la perdre et je ne voulais pas avoir le moindre regret. Je le laissais réfléchir et tournais mon regard vers Brady un bref instant. Peut-être qu'il m'en voudrait de lui avoir parlé de la sorte mais tant pis. Là j'avais juste besoin de soutien et qu'il ne fasse pas tout planter.

Sophia sorti de la chambre et rejoignit Lucas. Elle le salua d’un ton faussement amical qui annonçait déjà la suite de la conversation… Et cela ne loupa pas, car elle commença à lui demander une faveur qui se transforma rapidement en ordre : il devait la saluer, peu importe comment, afin que Tatiana puisse avoir l’assurance qu’il était bien là lorsqu’elle s’était réveillée. Elle se mit ensuite en devoir de la défendre, se faisant son porte parole et culpabilisa Lucas en expliquant que de ne pas le savoir à ses côtés risquait de lui faire un énorme coup au moral alors qu’elle avait particulièrement de soutien.

La rousse lui présenta des excuses qui sonnaient faux et poursuivit sa tirade. Elle souffla avant de reprendre, s’excusant à nouveau et parlant de son propre ressenti et du fait qu’elle tenait à Tatiana. Comme s’il ne l’avait pas remarqué… Elle lui dit encore que Tatiana parlait beaucoup de lui et tenait beaucoup à lui. Elle le supplia d’aller lui dire au moins bonjour, arguant qu’il était celui dont elle avait le plus besoin, là, tout de suite. Les yeux de la rouquine étaient embués de larmes. Ceux de Lucas également, mais il les essuya du revers de la main :

- Parce que tu crois que je ne m’en doute pas ? Tu ne penses pas que je puisse me sentir comme une merde à l’idée de flipper de la voir dans cet état sans savoir quoi faire ? Et tu crois qu’elle ira mieux si elle m’enflamme comme une torche humaine ? Parce que je suis pas comme vous moi ! Michel, Azazel et toi, le feu ne vous fait peut-être rien ou presque, mais moi… Je peux pas gérer plus que les flammes d’une crêpe flambée putain !

Lucas affrontait des anges dépourvus du pouvoir du feu, pas des démons ! Quant aux démons lobotomisés, ils n’avaient techniquement pas le droit d’utiliser leurs flammes à l’encontre des humains. Ils étaient considérés comme des outils de défense par les humains et pour les humains.

Michel intervint et posa sa main sur l’épaule de Lucas.

- Sophia te propose d’utiliser son pouvoir pour que les flammes passent à travers toi. C’est bizarre, mais je peux t’assurer que tu peux lui faire confiance et que tu ne sentiras rien. Je suis moi-même passé à travers des murs de béton et des portes blindées la tout à l’heure et comme tu peux le voir, je me porte comme un charme !

Lucas acquiesça d’un signe de tête nonchalant et resta un moment silencieux avant de déclarer en prenant la main de Sophia.

- C’est bon, allons-y.

Ils retournèrent dans la chambre auprès de la blessée. Lucas était nerveux. Et si l’autre ne maîtrisait pas correctement son pouvoir ? Et si Tatiana ne parvenait pas à se maîtriser ? Lucas resté planté devant Tatiana sans trop savoir quoi dire.

- …
- Tatiana, y a ton faiseur de hot dog qui a perdu sa langue!
- Désolé, je sais pas quoi te dire… Juste… Je suis content que tu sois là…

Lucas détourna la tête. Pourquoi cela lui semblait si difficile alors que d’habitude, sa relation avec Tatiana est simple et sans prise de tête ? Il était pourtant sincère quand il disait qu’il était content qu’elle soit là. Non, pas là, blessée à l’hôpital, mais dans la réalité et pas dans cet hôtel de mauvais goût ni morte et enterrée…

Michel me salua et me dit être content de me savoir de retour. Je me souvins alors que nous étions en mission ensemble et donc qu'il était logique qu'il soit là. Je repensais à Sophia qui avait évoqué Lucas et m'attendis à ce qu'il s'exprime mais rien. Était-il seulement là ? Je pensais l'avoir vu mais ça avait été trouble et avais-je voulu le voir ? D'un autre côté, Sophia ne m'en aurait pas parlé si ce n'était pas vrai. Rapidement je compris qu'ils étaient tous sortis sauf Azazel. D'habitude, je pense que j'aurai été en colère ou triste mais je sentais tellement mes forces m'abandonner que j'étais juste vide. Qu'importe. Je restais en boule, les yeux fermés en essayant de me concentrer sur autre chose que la douleur. Mon attention se porta sur les voix extérieures. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils se disaient tous mais une chose était certaine : Sophia n'était pas contente même si elle faisait tout pour ne pas parler fort. Je reconnaissais bien son timbre de voix particulièrement agacé qu'elle m'adressait si souvent. Ensuite, je reconnus la voix de Lucas et je compris qu'elle devait le réprimander. Pourquoi ? Parce qu'il ne m'avait rien dit ? Parce qu'il était parti ? Il avait bien le droit de le faire s'il le souhaitait. Après tout, il l'avait dit... Il ne voulait plus que je sois dans ses affaires... Ce que j'avais vu dans l'hôtel n'était que le propos de mes envies et non de la réalité. C'était logique et triste mais qu'importe. J'avais l'habitude. Je ne savais plus trop où j'avais envie d'être désormais. L'hôtel était trop beau pour être vrai, la réalité pas franchement réjouissante.

J'ouvris un oeil et vis Azazel. Son visage était face au mien. Elle ferma la porte pour que je n'entende plus les bruits des discussions et revins me regarder.

- Ce n'était pas tes envies. C'était réel. Tu n'as rien inventé, je te le promets. Je pense juste qu'il n'a pas suivi la formation baptême du feu auprès de toi. Ça peut surprendre au moins les deux premières fois, non ?

Je ne dis rien, ayant le souffle court et pas assez de force pour répondre une futilité. Elle me regardait avec un air bienveillant et me dit :

- Ils t'ont tous veillée. Tu laisserais un grand vide irremplaçable dans leur coeur si tu abandonnais, tu sais.

Elle me prit la main et me murmura :

- Tu es comme le chat noir : une beauté incomparable et trop souvent incomprise et pourtant tellement précieuse et unique en ton genre. Ne laisse pas des voix du passé oser dire le contraire. Tu as ta place ici et chacun te le montrera encore quand tu iras mieux, tu verras.

Des larmes perlèrent de mes yeux tandis que je serrais la main de la déesse. Je ne m'attendais pas qu'elle puisse me dire des mots aussi gentils. Je la connaissais blagueuse et souvent dure quand il était question d'Era et de ses alliés mais jamais elle n'avait montré cette facette réconfortante. Elle passa une main dans mes cheveux et mit l'index sur ses lèvres avant de se taire, s'éloigner et faire mine de regarder le plafond quand la porte de rouvrit. Je fermais les yeux avant qu'ils arrivent et attendais de voir ce qu'il se passerait. Michel prit la parole en disant que mon faiseur de hot dog avait perdu sa langue. Lucas répliqua en disant être désolé et ne pas savoir quoi me dire. J'eus un petit pincement au coeur. Il ajouta alors qu'il était content que je sois là.

Je sentais bien qu'il n'allait pas bien et que Sophia avait dû le forcer à venir. Peut-être que Michel y avait également participé. Je me serai sans doute écroulée moralement après tout ceci si Azazel ne m'avait pas parlé avant. Ses mots résonnèrent dans mon esprit, expliquant les choses. Il avait eu peur de mon pouvoir. C'est vrai que c'était surprenant pour un humain, même pour des démons ou des anges d'ailleurs. Je n'avais rien inventé... Il avait vraiment voulu revenir avec moi. C'était ça la vérité et non qu'il aurait changé d'avis et ne voudrait plus me voir.

Je n'avais pas beaucoup de forces alors je décidais de bien choisir mes mots. Ils furent destinés à Sophia et Michel.

" Merci... Mais laissez Lucas. Je fais peur à voir. "

Ainsi je passais le message que j'avais bien compris qu'on l'avait poussé à être là et que je n'appréciais pas. Je faisais comprendre aussi que j'étais consciente que j'étais dans un piteux état ce qui devait le stresser et aussi que mon don faisait également peur. Bref, ça ne pouvait être de belles retrouvailles. Puis il m'était assez difficile de gérer les douleurs et d'en plus y ajouter un Lucas contraint et forcé. Ça me donnait des mauvaises pensées. Je ne voulais vraiment pas avoir l'impression d'être une source de peur ou de rejet. C'était trop difficile. Je sentis mon souffle devenir encore plus court et je perdis connaissance.

Azazel poussa tout le monde et vint poser un masque pour aider la démone à respirer. Elle leur dit alors :

- Les visites sont terminées.

Son regard fut particulièrement insistant sur Sophia puis elle désigna la porte de la main.

- Merci à tous pour votre aide. Elle est revenue, vous avez réussi. Désormais je prends le relai.

Il faudrait au moins deux semaines pour qu'Azazel les autorise à la visiter. Ce serait le temps nécessaire pour que Tatiana ait assez de force pour discuter un minimum et puisse gérer les émotions de tout ce petit monde... Et pour des visites relativement courtes. Il faudrait un bon mois pour qu'elle puisse sortir d'ici mais elle sortirait.

Alors que leur petit tour sur la grande roue touchait à sa fin, la déesse Azazel fit savoir à Sophia que leurs protégés respectifs n’allaient pas tarder à se réveiller. Michel ne dissimula pas son soulagement. Il était tout autant soulagé pour son Lulu que pour la petite Tatiana qui n’avait pas mérité son triste sort.

Les deux démons pressèrent le pas pour rejoindre rapidement le petit groupe resté à l’hôpital. Cette fois, la déesse proposa de partager des chamallows que tous déclinèrent poliment. Les divinités n’avaient vraiment pas les mêmes codes sociaux que les mortels...

- Ca va chauffer.

Michel jeta un coup d’œil perplexe à la déesse qui venait de faire cette réflexion, lorsque la réponse à son interrogation muette lui explosa en pleine face :

- Wow ! S’exclama le démon en ayant un mouvement de recul et un geste protecteur envers son petit humain protégé qui venait, lui aussi, de se réveiller.

Michel remarqua bien que Lucas n’était pas dans son état normal. Il devait être impressionné de voir son amie lancer pareilles flammes qu’elle ne contrôlait visiblement pas et qui nécessita un effort de sa part pour les maîtriser lorsque Sophia lui fit remarquer leur présence. Lucas ne se fit pas prier lorsque Tatiana leur demanda de sortir. Michel le laissa partir, sans trop savoir s’il devait respecter ou non la requête de Tatiana. Sophia suivit Lucas et Michel décida de faire pareil.

La jeune femme déversa ce qu’elle avait sur le cœur et implora presque Lucas d’aller saluer Tatiana. De son côté, Lucas faisait un complexe d’infériorité parce que les flammes de la démone l’avaient effrayé et n’étaient pas comparable à une crêpe flambée. C’était normal qu’il ait peur et même assez rassurant en fin de compte, car cela signifiait qu’il n’était pas totalement suicidaire et conservait encore son instinct de survie. Ouf ! D’ailleurs, Lucas consenti à aller voir Tatiana, dès lors qu’il fut certain que sa sécurité serait assurée.

Si les circonstances n’avaient pas été telles qu’elles l’étaient, Michel aurait pu trouver mignon de voir Lucas tenir la main de la cheftaine de Liberty comme un enfant protégé par un adulte. Michel suivit. Lorsque Lucas se retrouva face à Tatiana, il resta silencieux. Le démon protecteur décida d’intervenir pour essayer de détendre un peu l’atmosphère et il parvint ainsi à faire dire quelques mots à Lucas : il progressait !

Tatiana dit merci, puis s’adressa très clairement à Sophia et lui en demandant de laisser Lucas en disant qu’elle faisait peur à voir. Ce n’était pas faux, il fallait bien l’admettre, mais elle avait besoin de soutien moral et lui d’un petit coup de pouce, non ?

Azazel intervint en disant que les visites étaient terminées et mit tout le monde dehors sans concession. Elle les remercia tous pour leur aide et qu’à présent que la démone était de retour, elle s’assurait de prendre le relais.

- Compris. Rétablis-toi bien Tatiana et ça me ferait plaisir de faire plus ample connaissance avec toi dès que tu seras à nouveau sur pied ! En attendant, ne t’inquiète pas : je veille sur Lulu !

Le trio accepta de partir. Michel salua Tatiana, lui adressa sa sympathie et la rassura quand à Lucas. Cela aurait été utile si elle n'étais pas inconsciente mais je supposais que tout le monde n'était pas aussi attentif que moi. Je hochais la tête et lui dis :

" Je lui dirai à son réveil. Rentrez bien. "

Je voyais bien que Sophia aurait aimé négocier avec moi mais elle avait dû sentir que ce n'était pas négociable. Je fermais la porte et regardais Tatiana. Je comptais bien relayer mes tours de garder avec mon minou. Cela ne lui ferait sans doute pas de mal de revoir un ancien collègue et puis ils avaient en commun d'avoir beaucoup aimé l'hôtel. Qui sait, peut-être qu'un jour ils seraient amis - mais pas plus. Je faisais beaucoup pour elle, ce n'était pas pour qu'elle me coupe l'herbe sous le pied.

Je repensais à Sophia qui avait ramené le fameux produit et me dis que je pourrai tester des choses dans le royaume des songes. Il serait bien d'avoir un moyen de neutraliser le mal par un endroit où Era n'aurait pas accès... Je la connaissais bien. Elle finirait par savoir que nous aurions un antidote "physique" et ferait tout pour que cela ne dure pas. Une réponse plus magique était de rigueur pour mettre fin à ce point de friction. Bien sûr, elle trouverait autre chose mais alors j'improviserai une autre réponse. En attendant, j'avais de plus en plus de personnes qui ne croyaient plus en Era et se révoltaient contre elle : c'était bien ça qui m'importait le plus. Quand plus personne ne croirait en elle, elle faiblirait et je l'attaquerai. Le moment viendrait à force de ces attaques. Elle se détruisait toute seule sans le savoir.

Je serai patiente.

[Fin du sujet]