Poisse [PV James]

J’avais passé ma première nuit à l’hôtel. Enfin, je crois. D’une part, je n’avais quasiment pas fermé l’œil et d’autre part, en regardant par la fenêtre, le jour n’étais pas encore levé. Par réflexe, je regardais ma Rolex que je savais pourtant hors d’état et par conséquent inutile. Voir l’aiguille bloquée toujours à la même heure m’agaça d’autant plus. Dire qu’elle m’avait coûté une fortune et qu’elle était encore toute neuve ! Un défaut de fabrication ? C’était le bouquet tout de même pour une telle marque, c’était inadmissible et une fois que je serais sorti d’ici, je garantis qu’ils allaient m’entendre !

J’étais sorti de la chambre et arpentais les couloirs. J’étais complètement désorienté dans cet hôtel. Où se trouvait le hall d’entrée par lequel j’étais arrivé déjà ? Devais-je m’y rendre en espérant que la porte soit désormais déverrouillée ou tenter de trouver ce fameux Lord pour qu’il fasse ouvrir cette porte ?

J’avançais et regardais sur mon téléphone portable. Toujours pas de réseau. Rien, nada, niet. Le vide intersidéral. Pourtant, je continuais de tenter d’actualiser le réseau, sans succès. Peut-être fallait-il contacter le numéro d’appel d’urgence, le 112 ? Ce numéro est supposé fonctionné même sans réseau après tout. D’un autre côté, appeler les urgences pour leur dire que j’étais enfermé je ne sais où risquait de leur faire penser à un canular… Peu importe, au point où j’en étais. Je composais donc le fameux numéro à trois chiffres et…

- RAAAAH !! Plus de batterie ! Pestais-je.

C’était mon troisième jour ici et je me baladais joyeusement dans les couloirs, me demandant si j’allais découvrir de nouvelles choses concernant cet hôtel plus qu’étrange. Alors que j’avançais, mon chapeau de magicien à la main, je croisais un humain en costume, visiblement d’âge mûr en train de s’agacer sur son téléphone car il n’avait plus de batterie. Ayant moi-même essayé cette hypothèse avec un portable totalement chargé, je pus lui dire avec nonchalance :

“ Si ça peut vous consoler un peu, moi j’ai de la batterie et absolument aucun appel ne passe, pas même les urgences. Ma montre mécanique refuse de démarrer, pourtant la pile fonctionne... Je crois qu’ils ont dû mettre un brouilleur électromagnétique ou quelque chose du genre. ”

C’était pour moi la solution la plus simple et la moins chère si on restait sur une solution physique bien sûr. J’ignorais s’il en s’agissait d’une, surtout depuis que j’avais croisé un molosse des plus anormaux. Clairement, ici il n’y avait pas d’illusions. Des choses paranormales se déroulaient.

“ Mais par contre, faites attention aux molosses. J’en ai croisé un, il a failli me dévorer sans l’ombre d’une hésitation. ”

Ombre, molosse, le bon jeu de mots ! Il aurait pu le comprendre s’il en avait croisé un mais ce n’était pas le cas, je suppose. Je me retins donc de rire pour ne pas paraître ridicule.

J’aurais bien voulu aider cet homme mais en toute franchise, je n’en savais sans doute pas plus que lui. Plutôt que de m'apitoyer ou m’énerver sur cette situation, je préférai voir la coupe à moitié pleine. Je lui proposais alors :

“ Si vous voulez, je peux vous apprendre des tours de magie pour vous faire patienter ? Je suis James Middletown, prestidigitateur. Moi aussi je cherche à sortir d’ici depuis trois jours. ”

Un jeune homme passa par là et me fit savoir que malgré qu’il avait de la batterie, aucun appel n’entrait ni ne sortait, pas même le numéro d’urgence. Il évoqua également sa montre.

- La mienne non plus ne fonctionne plus… L’informais-je simplement tandis qu’il poursuivit en évoquant un brouilleur électromagnétique. Je fronçais les sourcils, interloqué. Pourquoi ferait-on une chose pareille ? Si on avait les moyens de se payer du matériel sophistiqué pour brouiller les téléphones, montres et autres, alors on ne pouvait pas être dans le besoin. Quels autres enjeux pouvait-il bien y avoir là-dessous ? Je doutais que cela puisse être lié à la politique : ce n’est pas comme si j’étais un candidat aux élections présidentielles. A moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle émission de télé-réalité?

L’autre poursuivit en me recommandant de faire attention aux molosses dont un avait bien faillit le dévorer. Des molosses dévoreurs d’hommes qui se promènent dans un hôtel ? Était-ce une blague ? Si je ne m’abuse, le concept de blague, c’est de faire rire son auditeur. Or, je ne voyais pas ce qu’il y avait de drôle là-dedans.

Si au départ de la conversation avec ce jeune homme, celui-ci m’avait parut totalement normal, au fur et à mesure qu’il avançait, j’eu la désagréable impression d’être encore une fois tombé sur un barjot ! En effet, voilà qu’il me proposait maintenant de m’apprendre à faire des tours de magie ! Il se présenta, il était prestidigitateur. A mon sens, ce n’était pas un métier, mais de la pure fantaisie. Cependant, je gardais mon opinion pour moi, de toute façon, ce n’était pas le moment de parler de ce que je pensais de ce genre de spectacle totalement inutiles, tout juste bon pour impressionner les enfants lors d’une fête d’anniversaire. Non et puis surtout il y avait des choses bien plus importantes à aborder :

- Si vous voulez, je peux vous apprendre des tours de magie pour vous faire patienter ? Je suis James Middletown, prestidigitateur.
- Est-ce que j’ai une tête à faire de la magie ? Répondis-je ironiquement en tendant la main pour me présenter comme il se doit : Paul Ochon, homme d’affaires. Pour moi, le temps c’est de l’argent et je ne souhaite qu’une chose : sortir d’ici.
- Moi aussi je cherche à sortir d’ici depuis trois jours.
- Trois jours ?! M’exclamai-je. Ah mais non, ce n’est pas possible, il est hors de question que je m’éternise ici ! J’ai des affaires importantes à régler, des contrats cruciaux à signer et faire signer et un voyage d’affaire important à organiser… Non, ce n'est pas concevable, il doit bien y avoir une issue.

Tout cela commençait sincèrement à me préoccuper.

- Et ce fameux Lord qui brille par son absence ! Vraiment, tout ça n'est pas sérieux…

Je haussais les épaules quand il me demanda s’il avait une tête à faire de la magie. Pourquoi pas ? Si un démon s’y mettait, tout était envisageable je suppose. J’étais du genre à dire que l’habit ne fait pas le moine. De plus, tous types de personnes se rendaient à mes spectacles, même ceux plutôt sérieux. Ceci dit, à sa réaction j’avais bien compris que je n’étais pas tombé sur quelqu’un intéressé par ce sujet. Il déclara être un homme d’affaires, comme si cela justifiait qu’il soit rabat-joie. Cette réflexion me fit rire intérieurement bien que je n’en montrais rien pour éviter de le froisser et de lui faire perdre du temps. Apparemment, il était de ceux qui couraient après les minutes perdues. Ça ne devait pas être simple d’être ici pour lui, me dis-je alors qu’il s’offusquait que j’ai passé trois jours ici. Il ajouta ne pas vouloir s’éterniser ici car il avait des affaires apparemment urgentes à régler.

Je lui fis ma plus belle moue compatissante, ne sachant pas quoi faire de plus pour lui. Il râla sur le Lord qui brillait par son absence. J’essayais de rebondir sur le sujet, n’étant pas énormément plus au courant que lui des dangers de cet hôtel.

“ Oui, moi non plus je n’ai pas pu le revoir depuis mon arrivée. Il est apparemment très occupé mais il me semble qu’on peut demander un rendez-vous avec lui. Peut-être faudrait-il demander aux hôtes qui fournissent la nourriture ? Ils semblent toujours disponibles pour à peu près toutes les demandes. ”

Pour ma part, je n’avais pas encore insisté sur le sujet, trouvant plus sympathique de trouver moi-même une manière de sortir. Il devait forcément avoir une autre sortie que la principale : la sortie de secours. Peut-être avait-elle été oubliée, cachée quelque part. N’étant là depuis peu de temps, je ne perdais pas espoir. Puis, je n’avais rien qui m’attendait de si urgent à part mon spectacle… Mais, étrangement, cela ne me tracassa pas. Si j’avais disparu, on reporterait simplement les dates et voilà tout. Ce n’était pas la fin du monde.

Je regardais Paul, me disant qu’il ne devait pas faire partie de la liste des personnes à rencontrer de Katherine. Il ne semblait pas particulièrement sympathique. Néanmoins, j’essayais de l’aider.

“ Avec un peu de chance, vous le croiserez au détour d’un couloir. Je suppose qu’il doit être demandé un peu partout. ”

Je pensais aux molosses et me retins de le mettre en garde. Vu le genre de personnage, il me prendrait pour un fou ou un mauvais blagueur.

J’appréciais la compassion de mon interlocuteur à mon égard. Sincèrement. Cependant, savoir qu’il compatissait à ma situation ne résolvait pas mon problème. Ca me faisait une belle jambe ! Surtout quand il ajouta qu’il n’avait pas pu le voir depuis son arrivée parce qu’il était apparemment très occupé. Il crut m’apprendre qu’on pouvait lui demander un rendez-vous ou se renseigner auprès du personnel de l’hôtel si je n’avais pas la « chance » de le croiser dans les couloirs entre-temps.
Je secouais la tête en soupirant d’un air exaspéré :

- Justement, j’ai déjà demandé à deux de ses employés, une jeune femme blonde et un jeune homme au costume douteux… Ils m’ont dit la même chose que vous : qu’il était débordé, mais qu’il me recevrait en priorité dès que possible. Mais pour moi, vous comprenez bien que « dès que possible », ça ne peut pas être dans plusieurs jours !

J’étais vraiment agacé par cette situation. Je ne comprenais même pas comment j’avais fait pour mettre les pieds dans un bourbier pareil. Je me rendais à la supérette pour m’acheter un plat préparé et je ne sais comment j’ai fini par atterrir ici…

- Je ne vous comprends pas. Vous me dites que vous êtes coincé ici depuis trois jours… Comment faites-vous pour rester aussi calme ?

Paul m’expliqua avoir déjà demandé une audience à deux personnes dont la description ne me dit rien - ne les ayant pas encore croisées- mais qu’elles lui avaient dit la même chose que moi. Il me demanda en étant visiblement surpris comment je faisais pour rester aussi calme. Je lui souris et lui dis naturellement :

“ Je pars du principe que s’énerver n’a jamais rien arrangé. En restant calme, j’analyse mieux la situation et cela me permet de trouver une solution plus rapidement. ”

Notez que ce n’était pas pour autant que j’étais sorti mais ce comportement m’avait toujours permis d’affronter la vie avec plus d’aisance que certains. Puis, cela m’éviterait de me déclencher un ulcère : ce serait dommage. J’avais une longue vie devant moi, le temps ne manquait pas. Qu’est-ce qu’étaient trois jours sur une existence, quand on y pense ? Je préférais trainer et sortir en un morceau. Puis, j’avais fait deux belles rencontre : Katherine et Seth.

“ Puis ce n’est qu’une question de temps, on va forcément sortir d’ici. Et puis trois jours ce n’est pas deux ans. ” Dis-je d’un air léger.

Je n’imaginais pas pouvoir être enfermé ici pour toujours. Je m’estimais sans doute trop, pensant que j’étais plus malin que certains. Ceci dit, j’avais un avantage sur beaucoup : j’étais prestidigitateur et donc je connaissais pas mal de tours de passe passe. Je décelais sans doute mieux des choses suspectes. Cela m’avait valu de trouver un passage secret, après tout.

Le secret de James pour rester aussi calme résidait dans le fait qu’il partait du principe que s’énerver n’avait jamais rien arrangé et ne ferait aucunement évolué la situation. Je devais bien admettre qu’il avait raison sur ce point. J’avais beau m’agacer, j’étais toujours coincé ici. Toutefois, même en ayant conscience de cela, j’étais tout bonnement incapable de rester « zen ». Pour lui, ce n’était qu’une question de temps, nous finirions bien par sortir d’ici, il resta optimiste en disant que trois jours, ce n’était pas deux ans.

- Je doute de tenir deux ans séquestré sans finir alcoolique au bout d’un mois. Dis-je d’un ton acerbe.

Discuter avec cet homme ne faisait que me démoraliser. Trois jours… Deux ans ? Bon sang et si ça s’avérait exact ? Mais non, enfin, c’est impossible.

- Si je ne suis toujours pas sorti d’ici un certain temps, je ne doute pas que mon entourage ne manquera pas de signaler ma disparition et alors j’ai bon espoir qu’on me retrouve.

Dès lors, je n’avais plus de raison de m’inquiéter. Tout rentrerait dans l’ordre. Ce n’était qu’une question de temps. Mais je pensais à mes pauvres poissons restés chez moi. En mon absence, qui prendraient soin d’eux ? Il s’agissait de poissons exotiques qui nécessitaient une attention particulière. De plus, s’ils n’étaient pas nourris, certains étaient bien capables de se dévorer entre eux ! Rien que d’y penser, j’en étais malade.

Je n’avais pas grand chose en commun avec Paul mais quand il me dit devenir alcoolique s’il restait séquestré ici deux ans, je pus le comprendre. Ne vous méprenez pas : je ne me voyais pas finir dans le même état mais être deux ans enfermé me semblait horriblement difficile pour les nerfs. Je ne sais pas dans quel état j’aurai été, même en étant optimiste. J’avais dit deux ans pour comparer mais ça ne devait pas être possible… Si ? Non, les gens finissaient forcément par sortir avant ça. Comme il le signalait : sinon les gens seraient portés disparus et il y aurait des recherches.

“ Je vous rassure : je pense que nous serions tous recherchés. J’ai dit deux ans pour rire. Je ne doute pas que nous soyons sortis avant quelques semaines, au pire. ”

Ou un mois au maximum, c’est ce que je me disais. Même s’il y avait des créatures démoniaques, les autorités humaines enverraient sans doute des forces spéciales ou quelque chose du genre pour des enlèvements en masse ? Remarque, ce n’était pas si simple si l’hôtel apparaissait à plein d’endroits. Sans doute disparaît-il ? Je préférais ne pas lancer d’hypothèses aussi irréalistes à cet homme rejetant de base les tours de passe-passe. L’existence des démons lui semblerait loufoque, j’en étais certains, alors un hôtel possiblement magique…

Le mieux qu’il y avait à faire avec lui était d’aller dans son sens et de supposer le scénario le moins difficile à supporter. Le pauvre devrait fou sinon.

“ En tout cas, si j’arrive à croiser le Lord ou si je trouve une sortie, je viendrai tout de suite vous prévenir. Vous pouvez compter sur moi. ”

J’étais sincère mais je ne savais si mes délais lui conviendraient. Il n’était clairement pas aussi patient que moi.

James avait dit deux ans « pour rire ». Sérieusement, pour « rire » ? Parce qu’il pensait sincèrement qu’il y avait de quoi rire dans ce genre de situation ? J’étais sidéré.

- Il n’y a pas de quoi rire… Lui fis-je remarquer. Et j’espère que vous avez raison quand vous dites que nous serons bientôt sortis et le plus tôt sera le mieux.

Il devait avoir intégré à quel point tout cela me démoralisait, car il prit le soin de m’assurer que s’il croisait le Lord ou qu’il trouvait un moyen de sortir, il m’en aviserait aussitôt. Je l’en remerciais presque chaleureusement. Cette histoire me perturbait bien trop pour oser prétendre que cela suffirait à me remonter le moral. Je ne comprenais définitivement pas ce qui m’arrivait. Était-ce un mauvais rêve ? Allais-je me réveiller au sein de ma propriété et reprendre le cours normal de ma vie comme de rien ?

- J’espère que ceci n’est qu’un cauchemar et que je me réveillerai bientôt… Dis-je en soupirant.

Même si pour un cauchemar, celui-ci était tout de même très réaliste. Cela dit, cauchemar ou pas, je n’avais pas l’intention d’attendre sans rien faire. En voyant quelqu’un passer, je m’empressais d’aller à sa rencontre pour lui demander des nouvelles du Lord ou au mieux après une sortie, abandonnant ainsi mon interlocuteur magicien à l’humour discutable.

Cet homme manquait décidément d'humour. Son air sérieux me rappelait ces chefs d'entreprises antipathiques pour lesquels je n'aurai jamais souhaité travailler. Je le laissais s'en aller : de toute façon je ne voyais pas quoi lui dire de plus. J'avais envie de faire des bonnes rencontres avec les personnes dont Katherine m'avait parlé. Je passerai un moment bien plus décontracté. Mine de rien, penser à que cela puisse durer longtemps m'avait un peu ramené à la réalité. Allais-je rester ici si longtemps ? Trouverais-je un moyen de sortir ? Puis mon optimisme revint et je me dis que je trouverai bien vite une solution. Jamais je ne me laisserai abattre et puis je n'allais pas perdre ma bonne humeur pour un rabat-joie.

Je m'en allais donc en sifflotant dans les couloirs, observant tout avec mon air espiègle. Cet hôtel serait mon terrain de jeu jusqu'à ma sortie. Tenez-vous bien : James est dans les parages les amis !

(Fin du RP)