Une voix en offrande [PV Zoé]

Bien qu’elle fût une résidente encore fraichement arrivée, Lise avait parfaitement intégré que Lord Asteb était à l’origine de ce lieu magique. Tout cela était-il bien réel ou était-ce le fruit de son imagination ? Était-elle en train de rêver ? A moins que ce ne fût un rêve tout éveillé ? Lise n’aurait su le dire, bien qu’elle s’en accommoda très bien. Elle prit l’habitude d’aller se recueillir au lieu de culte de Lord Asteb. Quelle que fût l’origine de tout ceci, elle était soulagée de ne pas avoir à se lever de son lit pour aller faire un travail qui la démoralisait et où elle se faisait insultée quotidiennement par des inconnus dont elle ne voyait même pas les visages. De même, elle appréciait cette nuit perpétuelle à l’abri des rayons du soleil auxquels elle était sensible.

Lise alluma un cierge, adopta une posture de recueillement en joignant les deux mains, la tête inclinée et les paupières closes. Elle ignorait si elle s’y prenait de la bonne façon. Elle avait discrètement observés les autres fidèles auparavant et chacun semblait faire à sa sauce. Il y en a qui venaient déposer toutes sortes d’offrandes. En guise d’offrandes, Lise n’avait rien à offrir que sa voix. Elle prit un livre qu’elle avait déjà repéré auparavant et dans lequel il y avait des chants à la gloire du Lord. Elle ignorait les airs des chansons, mais aimait se laisser aller à l’improvisation. Et elle faisait cela à merveille, même si elle aurait été bien incapable de l’admettre.

La voix cristalline de Lise se fit doucement entendre, puis s’éleva progressivement, envahissant la salle déserte du lieu de culte.

Je me baladais dans les couloirs de l’hôtel à la recherche d’inspiration et de nouveauté. Je me demandais ce que me réservais ma petite balade du jour. J’étais toute excitée et sautillais joyeusement, accompagnée de Tigrou mon chat. Nos deux présences à priori fantomatiques ne perturbèrent personne pendant un moment puisque nous ne croisions personne. Etaient-ils tous encore au lit ou en train de prendre un repas copieux ? Difficile à dire : avec cette histoire de nuit éternelle et l’absence d’horloge, les nuits étaient rythmées comme chacun le désirait. Et s’ils étaient plutôt en train de donner leur offrande quotidienne au Lord ? Ça valait le coup d’aller jeter un coup d'œil.

Je m’approchais des lieux et remarquais une jeune femme à la chevelure très blanche en train d’allumer un cierge. Curieuse de ce qu’elle allait faire, je restais cachée et l’entendis chanter de sa voix exceptionnelle. Il va sans dire que Beast allait être ravi que l’on chante en sa gloire. Moi-même, j’étais heureuse que des personnes lui rendent hommage même si la plupart devaient juste le feindre pour survivre. Son existence n’était pas simple, pauvre créature, pourtant elle était dévouée à sa tâche et ne s’arrêterait jamais volontairement. C'était quelque chose, même si c'était négatif pour tous les résidents.

Une fois la chanson de la jeune femme terminée, je ne pus m’empêcher de venir soudainement face à elle pour l’interpeler.

“ Hé bien, il va falloir que tu lances ta chorale à la gloire du Lord. Je suis certaine que tu rencontrerais un certain succès et qu’il apprécierait le geste. ”

Je n’avais aucune idée de qui elle était et je m’en fichais. J’avais juste envie de discuter avec cette femme à l’apparence des plus atypiques. Maintenant que je la voyais de près, je remarquais que ses yeux l’étaient autant que ses cheveux.

“ Sympa ton regard, c’est naturel ou ce sont des lentilles ? ” Demandais-je sans aucune gène ou sans prendre la peine de m’introduire. Les banalités, ce n’est pas vraiment mon truc.

Lise n’avait pas remarqué qu’elle n’était plus seule, la nouvelle arrivée avait su se faire discrète. Ce n’est que quand elle acheva son chant qu’elle apparut soudainement devant elle en la félicitant pour son interprétation et lui suggéra même de lancer sa chorale à la gloire du Lord, car elle était persuadée du succès d’un tel projet et ajouta que le Lord apprécierait son attention.

Lise n’eut pas le temps de répondre que la jeune femme poursuivit sans transition en commentant son regard en demandant sans détour s’il s’agissait de lentilles ou si c’était naturel. Lise baissa les yeux, fuyant le regard de son interlocutrice, mal à l’aise.

- C’est naturel… Dit-elle tout bas.

Elle hésita, puis finit par remercier son interlocutrice pour ses compliments concernant son chant.

- Je n’ai pas l’habitude de chanter en public. Je serais incapable d’ouvrir une chorale. En plus, je ne connais pas l’air des chansons alors j’ai improvisé comme j’ai pu. Je ne suis même pas sûre de pouvoir reproduire le même air que je viens de chanter à l’instant… Enfin, tout ça pour dire, que je ne suis certainement pas la plus qualifié pour ce rôle, je suis persuadée qu’il y a des personnes plus douées que moi au sein de ce prestigieux hôtel.

Lise mésestimait son talent. Elle n’imaginait pas même en avoir. Elle chantait parce qu’elle aimait ça, mais elle n’avait pas conscience du fait qu’elle était particulièrement douée pour cela. Toutefois, elle se rappela ses bonnes résolutions en arrivant à l’hôtel : se faire des amis. Lise prit une profonde inspiration et sans se soucier de savoir si elle interrompait son interlocutrice qui s’était possiblement remise à parler après un moment de silence, elle dit maladroitement d’une traite sans prendre la peine de respirer :

- Enchanté, je m’appelle Lise et je serais ravie d’être votre amie !

Puis se rendant compte de la puérilité, elle se reprit en bredouillant :

- Enfin, je veux dire, de faire votre connaissance…

* Olala, je suis nulle, archinulle ! Elle va me prendre pour une idiote, c’est certain ! *

Lise rentra la tête dans ses épaules, elle aurait aimé être une petite souris et disparaitre dans son trou.

Cette fille semblait bien timide. C’était assez drôle à voir ! Maintenant que je le savais, je n’hésiterai pas à la bousculer un peu. Pourquoi ? Parce que c’est bien drôle d’essayer de faire sortir de sa carapace ce genre d’individu d’autant qu’elle avait des choses assez atypiques. Ses yeux naturels, de ses dires, me fascinaient.

La fille me remercia et se mésestima comme pas mal de personnes timides le faisaient. Mazette, il aurait fallu la secouer un bon coup pour qu’elle vive un peu et accepte ses qualités. Par expérience, je peux vous certifier que c’est bien plus agréable et gratifiant. Puis que gagnait-elle à s’effacer ainsi ? Sans doute l’avait-on gentiment amené à adopter ce comportement. Quel triste monde.

“ Tut, tut, tut, ce ne sont que des bêtises ! Vous seriez parfaite. ”

J’avais à peine fini de prononcer mon dernier mot qu’elle se présenta à moi sous le nom de Lise, dit être enchantée et vouloir être mon amie. Je me mis à rire de bon cœur. Vu son caractère, me dire cela lui avait coûté beaucoup. C’était beau mais tout de même, je ne pouvais m’empêcher de trouver la situation comique ! Elle se reprit et dit vouloir faire ma connaissance. Alala, il fallait la voir rentrer ses épaules comme l’aurait fait une tortue dans sa carapace !

Je ris de plus belle et posais mes mains fantomatiques sur ses épaules et lui dis :

“ Relax Lili ! Moi aussi je serais ravie d’être ton amie mais déjà on va se tutoyer ce sera plus cool. ”

Je lui fis des gestes en poursuivant mon discours :

“ Et sors-moi ces épaules, je ne vais pas te manger, moi ! ”

Je ris et lui dis :

“ Je vais te faire travailler ta confiance en toi car, petit un tu es une super chanteuse et, petit deux, tu me sembles sympa. Tu sais quoi, si quelqu’un t’embête ici, tu me le dis, je m’en charge. ”

Je lui adressais un clin d’oeil avant de voir Tigrou se frotter contre sa jambe.

Olala ! Voilà qu’elle se mettait à rire. Ca y est, c’était loupé pour se lier d’amitié, elle devait la prendre pour une parfaite idiote. Après tout qui demande ouvertement à devenir ami à quelqu’un qu’on vient à peine de rencontrer à part les enfants de maternelles et primaires ? Alors que Lise qu’à cet instant précis, Lise aurait souhaité disparaitre ou pouvoir remonter le temps pour s’empêcher de dire pareille sottise. Pourtant, Lise l’entendit lui dire de se relaxer et lui assura qu’elle serait ravie de devenir son amie et commencer par se tutoyer.

La pauvre Lise avait beaucoup d’informations à emmagasiner d’un coup. D’abord, l’inconnue dont elle ignorait encore le nom, venait d’accepter d’être son amie ! Mais aussi… Elle avait posé ses mains sur ses épaules, mais n’avait pas réellement senti ses mains. D’ailleurs, maintenant qu’elle y songeait, elle avait… comment dire ? Une “drôle“ de… consistance ? Comme si elle était légèrement transparente, un peu comme les fantômes dans les films… C’était... bizarre…

La jeune femme poursuivit en l’invitant à sortir sa tête de ses épaules et en affirmant qu’elle allait lui faire travailler sa confiance en elle. Elle lui fit savoir qu’elle la prenait sous son aile. Lise en fut touchée et ne savait décidément plus où se mettre ! Elle n’avait pas l’habitude d’être le centre d’une attention bienveillante.

Lise sentit quelque chose sur sa jambe et vit un chat de la même “consistance“ que la jeune femme.

- Merci, c’est gentil. Dit-elle en esquissant un timide sourire. Et eum… Donc, vou… enfin, je veux dire, comment tu t’appelles ?

Lise restait fidèle à l’image que j’en avais : une fille infiniment timide et réservée. Il fallait la voir sourire timidement et bredouiller quand elle parlait. C’était navrant. J’avais vraiment envie de la sortir de cet état second au plus vite. La secouer comme un cocotier n’aurait pas fonctionné aussi devrais-je passer par un moyen plus doux. Il restait à voir lequel j’utiliserai… J’avais encore un peu de temps pour y réfléchir, heureusement car j’avais du pain sur la planche.

La jeune femme me demanda comment je m’appelais. Juste pour la taquiner, je lui répondis :

“ Quel nom tu me donnerais ? ”

Ce n’était pas la réponse à laquelle elle devait s’attendre, pour sûr et c’était bien la but. Il fallait qu’elle apprenne à sortir un peu de sa zone de sécurité dans des discussions, pour commencer. Je n’allais certainement pas lui offrir des discours où elle n’aurait qu’à m’écouter et à hocher la tête. J’avais bien plus envie de la cerner, voir si elle avait un peu d’imagination ou du caractère derrière cette façade.

“ Je te donne cinq essais, si tu trouves, je répondrai à n’importe laquelle de tes questions avec sincérité. ”

Il fallait qu’elle s’habitue : j’adorais m’inventer des jeux. À quoi bon être quelqu’un pour parler de la pluie et du beau temps ? Autant avoir des échanges un minimum intéressants… Sinon je ne m’embêterai pas à rester dans ces couloirs, j’avais d’autres chats à fouetter. Mais bon, comme j’avais un peu de temps libre je leur accordais tous un peu de mon précieux temps. Qu’ils étaient chanceux ces petits résidents ! S’ils savaient, ils m’auraient remerciée.

- Ah euh ? Quel nom je vou… te donnerais ? Répéta Lise incrédule.

Elle qui n’avait déjà pas l’habitude des contacts sociaux, mais alors là, cette jeune femme qui lui demandait de deviner. Elle lui suggéra de proposer cinq prénoms et promettait de répondre à n’importe laquelle de ses questions si elle trouvait. Ses questions ? Mais elle ne souhaitait que connaitre son nom pour commencer à faire connaissance. Lise était quelque peu déstabilisée, elle s’apprêtait à répondre quand elle fut prise d’un doute.

- C’est… pour se moquer de moi ?

Poser des mots sur ce doute lui fit perdre contenance, les larmes lui montèrent aux yeux, mais avant qu’elles n’aient pu franchir ses paupières, elle avait tourné le dos à l’esprit et s’était enfuie, quittant la pièce. Elle finit par s’arrêter plus loin, après avoir bifurquer dans un couloir et se mit à sangloter en songeant qu’elle avait été stupide d’imaginer que cette personne accepterait sincèrement de devenir son amie après une si piètre présentation. Elle avait simplement dû la prendre pour une idiote et voilà qu’elle se moquait d’elle en lui demandant de deviner son prénom.

Lise essuya ses larmes et tenta de calmer son désarroi. Pourquoi se laissait-elle aller ainsi ? Elle aurait dû avoir l’habitude depuis le temps ! Mais dans ce nouvel environnement qui sortait un peu de l’ordinaire, il fallait bien l’avouer, elle s’était imaginé que cela pourrait devenir possible. Il fallait croire qu’elle s’était trompé… Elle songea alors que l’inconnue allait certainement parler d’elle à d’autres et qu’elle deviendrait une fois de plus la risée du groupe !

- C’est fichu ! Qu’est-ce qui m’a pris ? Se lamenta-t-elle en se remettant à sangloter.

Je pensais bien m’amuser avec ma petite Lizzie mais voilà qu’elle crut que je me moquais d’elle. Avant même de pouvoir démentir ce propos, elle s’était carapatée. En voilà une réaction ! Je frottais mon menton à l’aide de mon index avant de lancer un regard à Tigrou :

“ Elle ne serait pas un rien sensible ? Franchement, j’ai déjà été bien plus taquine que ça, non ? Je n’ai franchement rien dit de très méchant. ”

Le chat miaula pour confirmer et se frotta à moi comme pour me consoler. Je le caressais, me demandant quoi faire. Lui courir après ? Je ne savais pas. Si elle était aussi sensible, elle continuerait peut-être de fuir la situation. Je poussais un long soupir de lassitude.

“ Ce que les mortels sont susceptibles ! ”

Tigrou miaula et se mit à ronronner, je l’esquivais en me décidant à me bouger, faisant rouler mes yeux un instant.

“ Elle a intérêt à ne pas toujours agir comme ça sinon elle ne tiendra pas deux jours de plus ici. ”

Me voilà donc à chercher la direction qu’elle avait prise. Enfin, j’entendis sa voix : elle disait que c’était fichu. Je passais ma tête et approchais doucement.

“ Te revoilà ! Si tu n’aimes pas les devinettes, il suffit de le dire tu sais. Je ne me moque pas de toi, c’est juste que je n’aime pas agir comme tout le monde. ”

Je lui souris, essayant de la rassurer.

“ Je préfère voir chaque échange comme le moyen de s’amuser ensemble mais sans me moquer, attention. Si je voulais me moquer de toi, je ferai des choses réellement humiliantes mais ce n’était pas le cas. Je compte bien te donner mon nom si tu n’y arrives pas en plusieurs essais. Je veux juste voir si tu as de l’instinct, de l’imagination ou si tu arrivais à me trouver un nom qui me correspondrait plus. ”

Je haussais les épaules.

“ Mais si tu veux on zappe l’étape jeu, c’est dommage mais je peux m’en passer. ”

Lise sursauta en entendant la voix de la femme qui l’avait fait paniquer. Elle lui fit savoir que si elle n’aimait pas les devinettes, il suffisait de le dire. Elle ajouta qu’elle ne se moquait pas d’elle et lui expliqua que c’était juste sa façon à elle de se démarquer des autres. Elle voulait que chaque échange puisse être une occasion de s’amuser sans toutefois se moquer.

- D’accord, c’est juste un jeu alors… Dit Lise en fixant le sol.

La jeune femme aux yeux vairons fit volte face, aplanit les plis de sa robe en passant ses mains dessus, prit une profonde inspiration et, quelque peu tendue, déclara :

- Ok. Jouons. Tu t’appelles Rachelle ?

Premier essai. Elle avait simplement dit le premier nom qui lui passait par la tête. Est-ce qu’elle avait une tête à s’appeler Rachelle ? Aucune idée. Avait-elle elle-même une tête à s’appeler Lise ? Comment pouvait-on affirmer que tel prénom correspondait mieux à tel ou tel visage ? Ca n’avait aucun sens, mais si c’était ainsi qu’elle devait s’y prendre pour se faire une amie… C’était tout de même singulier.

Rachelle… C’était cette petite fille rousse, aux cheveux toujours tressés et au visage parsemé de tâches de rousseur dans la cour de récré de l’école primaire, elle jouait à la corde à sauter et au saut à l’élastique avec ses copines. Elle avait un mignon petit cartable avec un papillon dessus. Autrefois, Lise aurait souhaité avoir le même cartable, mais surtout, elle aurait souhaité pouvoir se joindre au petit groupe de fillettes et participer à leurs jeux qui avaient l’air si amusant quand on les voyait faire ! C’était des histoires d’enfants…

Finalement, ma petite Lizzie accepta de jouer ce qui me fit plaisir. Elle proposa comme prénom “Rachelle”. Je souris, trouvant que ce dernier n’était pas mal du tout. Il finissait avec le son “el”, tout comme mon réel prénom. Ceci dit, le côté très dur de la consonne “r” me plaisait moins. Mais bon, pour un premier essai, la petite s’en sortait très bien. Je me devais de la féliciter !

“ C’est une bonne proposition, intéressante et sympathique, mais ce n’est pas mon nom. Encore 4 essais. Je peux te dire que mon nom est plus court que ça. ”

Enfin, mon surnom… Mais je ne donnais à personne mon prénom, question de principe. Je la regardais, me demandant ce qu’elle proposerait. Peut-être Léa ? Anna ? Lilou ? Les humains étaient surprenants
Si elle arrivait à trouver mon nom avant les cinq essais, ce serait fort de sa part mais j’avais confiance en elle. Je sentais qu’il n’y avait pas que son regard qui faisait d’elle quelqu’un d’hors norme. Mon intuition me disait que je ne m'ennuierai pas à ses côtés.

Ma curiosité se porta aussi sur la question qu’elle me poserait par la suite si elle réussissait à trouver mon prénom. Avait-elle des interrogations profondes sur l’hôtel ? Avait-elle déjà découvert des mystères de ce lieu ou pas du tout ? Que savait-elle du Lord et de Beast ? Peut-être plus que ce qu’elle en laissait paraître. Je finirai un jour ou l’autre par le savoir, mais d’ici-là, je devrais patienter.


“ Quelle est ta proposition ? ”

Lise pensa avoir trouvé lorsque l’énigmatique jeune femme lui répondit que c’était une bonne proposition. Cependant, la suite de son discours lui fit rapidement comprendre que ce nom n’était pas celui de son interlocutrice. Il lui restait donc quatre tentatives. Cette fois, elle lui donna un indice : son prénom était plus court. Lise réfléchit. « Rachelle » était un prénom à trois syllabes. Peut-être tenter avec un prénom à deux ou une syllabe. Elle réfléchit un moment. Il y avait tant de prénoms possibles et qui lui traversaient l’esprit…

Lise fut tirée de ses réflexions par l’esprit qui lui demanda quelle était sa proposition.

- Ah ! Euh… Je… Elsa ? Suggéra-t-elle timidement.

C’était le nom d’un personnage d’un film d’animation qu’elle appréciait étant plus jeune. Elle se sentait proche de cette reine à part que sa particularité à contrôler la glace et la neige avaient fini par isoler… La seule différence, c’est qu’Elsa, au moins avait une famille qui l’aimait, et même si elle avait perdu ses parents, elle avait encore une sœur qui l’aimait et qui avait tout fait pour la sauver. Lise, elle n’avait personne, si ce n’est Louise dont elle se serait bien passée…

La proposition suivante fut “Elsa”. Pour ma part, je n’avais pas la référence du dessin animé car ce genre de choses me dépassait totalement. La télévision n’avait jamais eu grand intérêt pour moi. Il y avait tellement plus important et intéressant chez chaque personne réelle. Pourquoi perdre son temps à écouter des histoires fictives parfois totalement affligeantes ? Vraiment, je n’avais pas le luxe de perdre mon temps.

Je secouais la tête et lui dit d’une voix amusée :

“ Non, toujours pas. Allez, trois essais. Petit indice : mon prénom comporte moins de lettres qu’Elsa. ”

C’était un bel indice. Je pense qu’il existait peu de prénoms en trois lettres pour les filles. Remarque, il y avait Léa, Mia… Plus je réfléchissais, plus je réalisais qu’elle avait encore l’occasion de se tromper. Mais ce n’était pas grave : le principal était de terminer ce jeu de devinettes.

“ En tout cas, si tu aimes les devinettes, je pense que tu es tombée au bon endroit en venant ici. Tout ce lieu est rempli de mystères, d’énigmes. C’est ce qui fait son charme, je trouve. ”

Je lui fis un clin d'œil et la laissait réfléchir à une autre proposition. Tigrou se collait contre mes jambes en ronronnant pendant ce temps.

Elsa fut une mauvaise proposition également, toutefois, elle lui donna un indice : son prénom comportait encore moins de lettre ! Moins de lettres, cela signifiait qu’il n’y en avait que trois ? Ou en deux lettres ? Est-ce que ça existait seulement des prénoms en deux lettres ? Jo, peut-être ? Mais ça sonnait plus comme un diminutif que comme un véritable prénom… Lise resta sur les prénoms à trois lettres :

- Eve ? Ou plutôt Eva ?

Lise se mordit la lettre. Cela faisait deux propositions ça, non ? Il ne lui resterait donc plus qu’un seul essai s’il ne s’agissait pas d’un de ces deux là. Comment faire pour deviner ?

- Oh ! Je sais ! Si ce n’est pas cela, peut-être que je pourrais tout de même deviner ton prénom en te proposant des lettres comme au pendu ?

Lise avait fini par se prêter au jeu et ne voulait pas s’avouer vaincue, bien qu’elle n’était pas spécialement une mauvaise perdante ni une compétitrice acharnée, elle ne voulait pas échouer sans avoir tenté. Et puis, peut-être que sa mystérieuse interlocutrice apprécierait son initiative ? Ou peut-être pas ?

- Enfin, seulement si tu veux. On peut rester sur la règle de base que tu as fixé et s’arrêter au bout des cinq essais si je ne trouve pas ton prénom, bien sûr.

Mais comment aurait-elle pu deviner son prénom en cinq essais alors qu’il existait des milliers, des millions même ! de prénoms en tout genre…

Lizzie me proposa Eve et Eva. Je secouais la tête négativement, retenant une grimace. Br… Ça ressemblait trop à Era et je n’aimais pas du tout - allez comprendre pourquoi. Il ne lui restait pas beaucoup d’essai et ce ne serait finalement pas si facile pour elle de trouver la solution. Je me demandais si elle demanderait un indice ou si elle tenterait au hasard. C’est avec un grand étonnement que ma petite timide me proposa plutôt de continuer le jeu tel un pendu ! Je tapotais des mains, ravie de cette proposition et m’empressais de me dégotter un petit papier, une plume et de l’encre pour dessiner le fameux dessin de base du jeu.

“ C’est une excellente idée ! Je suis partante. C’est très amusant. Allez, propose tes lettres. ”

J’avais dessiné trois traits prouvant ainsi que mon prénom comportait trois lettres. Il ne lui restait qu’à deviner lesquelles. J’étais très enthousiasmée car je n’avais jamais joué à ce jeu avant, bien que j’avais vu d’autres personnes le faire. J’avais bien fait de parler à cette grande timide : je passais un bon moment. Tigrou semblait également de cet avis car il s’était mis à faire des petits bonds autour de nous, chassant on ne sait quoi.

“ Attention à bien choisir tes lettres. ”

Dis-je comme pour faire monter la pression bien que mon sourire montrait bien que j’étais d’humeur joueuse et non menaçante. De toute façon, si je l'avais été avec elle, elle aurait déjà fuit vu son caractère.

Lise fut soulagée de voir que sa proposition fut acceptée et même appréciée par l’inconnue. La timide demoiselle, ravie, ne put s’empêcher de joindre les mains et de les tapoter frénétiquement l’une contre l’autre. Elle s’interrompit rapidement, reprenant une certaine contenance, tandis que l’esprit prenait de quoi écrire, puis réalisa trois traits.

*C’est donc bien un prénom à trois lettres* songea-t-elle.

La jeune femme l’invita à proposer les lettres et lui mis un peu la pression en ajoutant de faire attention à bien les choisir. Lise acquiesça avec sérieux.

- A !

Lise avait l’intention de commencé par proposer les voyelles : a, e… Pour la suite, elle verrait. Si elle en trouvait une qui correspondait, elle serait peut-être inspirée ?

Naturellement, elle suivit la stratégie classique du pendu qui était d’énumérer d’abord les voyelles. Elle commença par le "A" qui était présent dans mon vrai prénom mais pas celui de 3 lettres, pas de chance. Je secouais donc négativement la tête avant de dire de ma voix amusée :

" Non, pas de A."

Je dessinais le premier trait telle une épée de damoclès un peu plus proche de sa tête. Quoi ? C ‘est un peu exagéré ? Oui mais c’est drôle de penser ainsi, sachant qu’il n’y avait en fait pas de grands enjeux dans cette partie. Je commençais à penser stratégie et à me mettre à sa place. Je supposais qu'elle proposerait ensuite le "E". Et viendrait le "I", le "O" et le “U”, si elle allait jusqu’au bout mais j’en doutais. En effet, il ne serait pas bien difficile de deviner mon prénom une fois qu’il sera noté “ _ O E”. A part Noé, Zoé était un des rares je pense à finir ainsi et à être composé de trois lettres. Je me dis alors qu'il pouvait être drôle de compliquer un peu le jeu pour le fun. Comprenez-moi : je ne voulais pas que l’on s’ennuie.

" Si tu ne fais aucune erreur à partir de maintenant, je répondrai à n'importe laquelle de tes questions. Sur n’importe quel sujet. "

Je lui souris, impatiente de voir comment elle jouerait maintenant que j'avais rajouté de l'enjeu. Ceci dit, je doutais qu’elle se rende compte l’étendue de mes connaissances et c’était tout naturel. Personne ne pouvait décemment imaginer la réalité.

Il n’y avait donc pas de A. Lise tenta une autre voyelle : E. Il s’avéra qu’il y en avait bien un tout à la fin du prénom. Lise était donc fixée : ce n’étaient déjà pas Léa, Mia, Kia ou Kim qui avaient vaguement traversé son esprit.  Quel prénom de trois lettres finissait par E ? Il n’y en avait pas tant que ça… Quelles lettres pouvaient bien précéder le E ? Lise savait déjà que ce n’était pas un A. Elle aurait bien proposé un I mais aucun prénom en trois lettre avec un I au centre et un E à la fin ne lui venait à l’esprit. Elle décida donc de passer cette voyelle et de proposer la suivante qui avait l’avantage d’offrir plusieurs possibilités de prénoms en trois lettres : Zoé, Joe…

La jeune femme avait ajouté une nouvelle condition au jeu. Si Lise parvenait à trouver son nom sans se tromper à partir de maintenant, elle pourrait lui poser n’importe quelle question sur le sujet de son choix. Lise n’avait aucune idée de questions et ne saisissait pas trop l’intérêt de cette condition. Cela signifiait-il qu’elle n’avait pas le droit de lui poser des questions habituellement ? Mais comment pourraient-elles faire plus ample connaissance si elle n’avait le droit qu’à une seule question ? C’était plutôt perturbant. Lise ne savait pas trop comment le prendre… Elle songea qu’il valait mieux ne pas trop y penser pour l’instant présent et continua de jouer le jeu en proposant la lettre : O.

Lorsque la jeune femme aux yeux vairons eu la confirmation de son interlocutrice et vit le O apparaître devant le E. Lise du se décider. Elle jeta un coup d’œil à la demoiselle et trouva qu’elle avait plus une tête à s’appeler Zoé que Joe. Et puis, c’était plus courant en termes de prénom que Joe qui s’apparentait plus à un diminutif. Elle n’avait pas d’autres idées de prénom en tête pour ces deux lettres, alors elle proposa timidement :

- Zoé ?

Lizzie me proposa la lettre “O”, je la plaçais, me disant qu’elle n’était plus très loin de la vérité. Allait-elle réaliser un sans faute ou la pression aurait-elle raison d’elle ? Les deux options étaient envisageables. Mon regard ne la quittait pas, attendant qu’elle se prononce pour une lettre ou une proposition. Voilà que sa voix timide proposa mon prénom : Zoé. Je gardais un air neutre, comme si elle avait échoué, même le ton de ma voix donnait cette impression.

“ Hé bien je dois dire que je suis surprise de ta réponse… Tu te lances comme ça, sans hésiter. Tu crois que tu as eu raison ? ”

J’avais trop peur de la voir se liquéfier et pleurer, croyant s’être totalement trompée aussi, je mis rapidement fin à ce mauvais moment. Il n’aurait pas fallu qu’elle fuit une fois encore. Je n’avais pas que ça à faire que de lui courir après.

“ Hé bien oui ! Je m’appelle Zoé. Tu as trouvé ! Félicitations ma petite Lizzie ! ”

J’applaudis franchement, inclinant le buste pour montrer que je lui concédais sa victoire. Puis, je plongeais mon regard dans le sien avant de croiser les bras. J’espérais qu’elle avait une bonne question à me poser. Dans tous les cas, je ne me défilerai pas : je tenais toujours parole. Je n’étais pas comme d’autres personnes ou divinités…

“ Alors, dis-moi, quelle est ta question ? Je veux bien parler d’une question importante, pas une question banale. Le genre de questions à laquelle personne ne veut te répondre ici par exemple. ”

Je m’adossais à un mur et lui dis :

“ Tu as le temps de la poser. Ça peut même être un autre jour si besoin : ce n’est vraiment pas pressant. ”

Je lui adressais un clin d'œil complice, supposant que cette précision la soulagerait.

Zoé mit un peu la pression à Lise en lui disant qu’elle était surprise de sa suggestion qu’elle avait fait sans hésitation. Cette remarque sema le doute dans l’esprit embrouillé de Lise. S’était-elle trompée ? avait-elle vexé la jeune femme pour qu’elle prenne cet air qui lui apparaissait presque sévère ? Lise se mordit la lèvre et s’apprêtait à s’excuser quand l’autre déclara joyeusement que Zoé était bel et bien son nom. Lise en fut soulagée, mais elle avait du mal à suivre son interlocutrice. Elle se voulut lorsqu’elle songea que Zoé était un peu bizarre. N’était-elle pas mal placée pour penser cela ?

Pourtant, la jeune femme lui affirmait qu’elle avait le droit de lui poser une question, n’importe laquelle et qu’elle n’était pas obligée de le faire dans l’immédiat.

- Ah ! Euh… merci ?

Lise était un peu mal à l’aise. Elle avait espéré pouvoir faire connaissance avec Zoé, mais comment l’aurait-elle pu si elle n’avait le droit de lui poser qu’une seule question ? Faire connaissance n’impliquait-il pas d’en poser plusieurs ? Quel âge as-tu ? Quels sont tes hobbys ? Est-ce que tu fais un sport ou une activité artistique ? Quel est ton plat préféré ? Ta couleur et ton animal préféré ? Lise en vint à penser que Zoé agissait probablement de manière détournée pour ne pas avoir à faire sa connaissance, ce qui lui mina le moral.

- D’accord, un autre jour alors… Bon eh bien… Euh… A la prochaine, Zoé ?

Lise s’éloigna, déçue et confuse. Elle ne savait pas trop que penser de cette rencontre. Zoé avait prétendu être ravie à l’idée d’être son amie, pourtant, elle ne lui avait accordé qu’une seule question… La jeune femme se demanda ce qu’elle avait encore pu faire de travers. Elle qui avait envisagé l’opportunité d’une nouvelle vie au sein de cet hôtel insolite, craignait de répéter la même et interminable boucle qui se perpétuait depuis son plus jeune âge.