L'ange de substitution (Lucas)

Je consacrais quasiment tout mon énergie sur les problèmes d'Azazel et de Lucas ces derniers temps. Je commençais à me rapprocher doucement des fautifs de l'ignominie d'Anna, j'avais obtenu des informations concernant Era et ce qu'elle faisait à ses alliés humains et j'avais même demandé à Azazel d'aider Lucas dans ses cauchemars. J'avais souligné quel allié fidèle il représentait et combien ses tourments risquaient de faire de lui une cible rapidement éliminée. Après avoir fait quelques supplications, mais ne le dites à personne, elle avait accepté d'alléger ses tourments. De ce qu'elle m'avait dit, dans ces cas-là, elle tendait des perches aux personnes les menant vers de bonnes philosophies de vie. Ça pouvait être long mais, étant une experte, elle l'avait fait en une heure. Je lui en était éternellement redevable et cela ne me posais aucun problème.

D'une certaine façon, apporter de la protection à Lucas qui n'en avait plus me soulageait. Oui, je me comportais en pigeon... C'était honteux mais noble aussi ? Ne me jugez pas trop durement : l'avouer est déjà assez pénible.

" Je ferai ce qu'il faut pour vous rembourser. Ma vie vous appartient. "

La déesse me râla dessus, me disant qu'elle n'était pas de ce genre-là puis retourna à ses affaires. Elle était bien occupée ces derniers temps. Ceci dit, j'étais soulagée de la voir en forme après l'attaque qu'elle avait subie. Elle n'avait pas caché les faits et s'en était aussi servie pour souligner l'urgence de la collaboration de chacun d'entre nous pour changer le monde tant que c'était encore possible.

J'avais voulu envoyer des comptes rendu par SMS à Lucas mais mon téléphone n'arrêtait pas de modifier mes mots et mes phrases par des abominations, comme s'il était hanté ! Je l'avais claqué contre un mur et il n'avait pas apprécié. Je me retrouvais donc sans moyen de communication et dû revenir au système D. Je pris une enveloppe et je mis à l'intérieur une lettre où chaque lettre était collée : ça m'avait pris une éternité mais c'était plus sécurisé.

" La pigeonne a privé de sommeil ses ouvriés non ailés. Fais attention à toi.
P.S : le mur a gagné la bataille contre le téléphone. "

Je pris ma forme de félin et allait par les toits avant de gratter au carreau. C'était le soir, l'heure de manger : normalement il devrait être là. Je comptais juste poser le courrier et filer aussi vite.

Depuis quelques temps, Lucas avait retrouvé le sommeil. Il n’était plus réveillé par ses cauchemars incessants, il dormait d’un sommeil sans rêve. Lorsqu’il se réveillait le matin, il était certes reposé, mais toutefois inquiet : cela signifiait-il que ses souvenirs avec Anna s’estompaient ? Que sa perte l’affectait moins qu’il ne l’avait prétendu ? Que son amour pour elle n’était pas aussi intense ? Il ressentait comme un immense vide dans sa poitrine. Il se reprochait de dormir aussi sereinement après ce qui était arrivé à sa bien-aimée et leur progéniture.

C’était bientôt l’heure de manger, Lucas avait cuisiné, plus pour s’occuper et passer le temps, mais il ne toucha pas à ce qu’il avait préparé, s’étant contenté de douter méthodiquement sa préparation à différentes étapes pour s’assurer qu’elle correspondait à ses attentes. Il était occupé à nettoyer et rangé soigneusement ses ustensiles lorsqu’il entendit un bruit de grattement sur le carreau. Il fronça les sourcils, perplexe. Sans lâcher le long couteau de cuisine et le torchon qu’il tenait dans ses mains, il s’approcha de la fenêtre et tira le rideau pour y découvrir un petit chat qui tenait une enveloppe.

Lucas reconnu la forme féline de Tatiana. Il ouvrit la fenêtre et l’invita à entrer en la saluant.

- Bonsoir. Quelles nouvelles ? Je viens de finir de cuisiner, tu veux manger un bout ?

Il était intrigué par l’enveloppe qu’elle tenait dans sa gueule, aussi ajouta-t-il en terminant d’essuyer son couteau tout propre et de le ranger à sa place. :

- Qu’est-ce que c’est que cette enveloppe ? C’est pour moi ?

Après tout, pour quelle autre raison viendrait-elle chez lui à cette heure encombrée d’une enveloppe ?

Lucas ouvrit la fenêtre, m'invita à entrer tout en me saluant. J'avais en tête de ne pas rester parce qu'il avait certainement mieux à faire que de trainer avec moi jusqu'à ce qu'une très bonne odeur se dégagea de son appartement. Il en rajouta une couche en me disant avoir fini de cuisiner et en me proposant de manger un bout... La tentation fut immense. Refuser un VRAI bon plat, c'était un sacrilège. Je n'avais pas répondu car j'avais toujours l'enveloppe dans la gueule. D'ailleurs, il me demanda si cette dernière était pour lui. Je rentrais et la déposais à côté de lui avant de fermer la fenêtre et le rideau sans l'abimer avec mes dents. Maintenant à l'abris des regards extérieurs, je repris mon apparence humaine habillée d'un jean et un débardeur noir et d'un gilet blanc en laine - merci Azazel de m'éviter les moments gênant de transformation. Je regardais mon ami et lui dis avec entrain :

" Salut Lucas. Merci tu es sympa. En fait, je venais juste te déposer un message urgent parce que je n'ai plus de téléphone... Le mien s'est cassé. "

Je me raclais la gorge et me confessais :

" Ces trucs ne veulent pas bien fonctionner. Je veux écrire un truc, il me remplace mes mots : ça m'a rendue folle. Et par réflexe, je l'ai claqué contre le mur et depuis il ne s'allume plus. C'est trop fragile. Franchement, je ne vois pas pourquoi tout le monde a besoin de ça. C'est insupportable. "

Je poussais un soupire autant pour me décharger de mon agacement que de ma culpabilité.

" Je suis désolée, du coup il faudra attendre au moins demain pour que j'en trouve un autre. "

Oui j'avais bien dit "trouver" car je ne comptais pas dépenser un centime pour une de ces créations pourries. J'en récupèrerai un de quelqu'un et ça ferait bien l'affaire.

" Mais j'avais un message important donc je voulais te le donner de suite... Donc je me suis déplacée. Je pensais juste te déposer le courrier comme un SMS qui serait bien écrit. "

J'humais de nouveau les bonnes odeurs et affichais un large sourire.

" Mais bon, si tu insistes pour que je mange avec toi... Je pourrai t'en parler de vive voix. En plus ça sent drôlement bon. Qu'est-ce qui est au menu du jour, chef ? "

Je comptais bien évidemment lui parler d'Era et de ce qu'elle faisait aux humains la servant. Peut-être que je lui demanderai comment il dormait pour m'assurer que tout se passait bien de ce côté-là.

Tatiana entra, ferma les rideaux et pris forme humaine. C’était impressionnant de la voir se transformer. Heureusement qu’il était au courant autrement, il se serait cru devenir fou. La démone lui expliqua qu’elle était venue afin de lui transmettre un message, façon sms, car son téléphone était cassé. Lucas afficha une mine étonnée qui parut la pousser à être plus précise. Elle expliqua donc comment elle s’était pris la tête avec son portable qu’elle avait claqué contre le mur parce que le correcteur automatique ne cessait de changer ses mots. Tatiana ajouta que le téléphone n’avait pas survécu.

- Tu m’étonnes ! S’exclama Lucas en souriant, l’air amusé.

Ca paraissait tellement impensable à notre époque où même les enfants en bas âge apprenaient très tôt à se servir des écrans ! Quoiqu’il en soit, elle avait un message important à lui transmettre et cela ne pouvait pas attendre le temps qu’elle trouve un autre téléphone.

Tatiana ne refusa pas sa proposition de manger. Lucas lui prépara une assiette et se servit également. Puisqu’elle allait lui tenir compagnie, il ferait un effort pour manger un peu, même s’il n’avait pas particulièrement faim.

- Pour le menu du jour, je me suis laissé aller à revisiter une recette.

Le Chef lui énonça les principaux ingrédients du plat, l’air très professionnel. Puis, il sourit et lui indiqua plus simplement le nom du plat.

- Je t’en prie, installe-toi. Bon appétit ! Et donc, qu’est-ce que tu avais d’important à me dire ?

J'étais impressionnée par le plat revisité de Lucas. C'était du grand art. Vraiment, il cuisinait toujours aussi bien même pour un soir ? J'étais totalement admirative, tant que je continuais à observer le plat plutôt que de le manger. Je m'étais installée entre temps puisqu'il me l'avait proposé. Je lui dis tout sourire :

" Merci ! Bon appétit. " Je marquais une pause puis repris. " C'est vraiment incroyable ce que tu fais avec de la nourriture. Toi je suis sûre que petit tu devais déjà jouer avec. "

Je continuais à observer avec admiration quand je repensais à sa question concernant ce que j'avais à lui dire. Je décidais d'en parler avant d'encore dévier la conversation.

" En fait je voulais te dire qu'Era avait apparemment décidé de donner aux humains qui l'aident de ne plus jamais dormir. Ça veut dire que tu ne peux pas compter dessus pour espionner et peut-être que ça aura des conséquences... J'ai pensé au fait que personnellement je pouvais être de mauvais poil quand je dormais mal, alors est-ce que ce sera le cas ? Ils seront peut-être plus agressifs ? Je ne peux le dire mais je trouvais ça assez inquiétant pour t'en parler rapidement. "

J'essayais de croiser son regard pour faire une belle transition.

" En parlant de sommeil, est-ce que tu dors mieux ces derniers temps ? Je me suis dit que le sport t'aiderait peut-être. "

J'avais par la même occasion trouvé une explication possible à une amélioration positive même si je ne pouvais être certaine qu'il dormait déjà mieux. Cela prendrait peut-être plus de temps que je ne le souhaitais. J'étais une éternelle impatiente : j'en avais conscience. D'ailleurs, je cessais d'observer et décidais enfin de goûter le plat. Il était tellement bon que je ne pus m'empêcher de le manger assez rapidement. J'essayais de me retenir. La preuve en était que je ne l'avais pas gobé. Vraiment : c'était exquis.

Lucas aimait l’enthousiasme de Tatiana lorsqu’elle goûtait à sa cuisine. Evidemment, il savait qu’il avait du talent et que sa cuisine était particulièrement appréciée. Lorsqu’il travaillait au restaurant, il n’était pas rare qu’on lui transmette les compliments des clients, voir même que ces derniers insistent pour le voir et le féliciter et le remercier de vive voix pour l’excellent repas. Mais pour Tatiana, c’était différent, elle avait cette spontanéité naturelle qui la rendait attachante et qui faisait qu’il appréciait d’autant plus ses compliments.

Elle supposa qu’il jouait déjà au petit chef depuis tout petit, ce qu’il confirma modestement d’un signe de tête.

Tatiana lui révéla le message qu’elle souhaitait lui transmettre. Cela concernait Era qui empêchait désormais ses alliés humains de dormir. Cependant, outre le fait que ça limitait leur tentative d’espionnage, la démone expliqua que les conséquences pour ces derniers pourraient être de l’irritabilité et de l’agressivité. La jeune femme trouvait cela inquiétant. Lucas haussa les épaules :

- A Paris, pas besoin de manquer de sommeil pour être irritable et agressif. Et puis, le manque de sommeil, c’est contre-productif : ils risquent d’être moins concentré et attentif. J’en sais quelque chose… Pourquoi Era se tirerait une balle dans le pied ? A moins qu’elle puisse les préserver des désagréments du manque de sommeil ?

Après tout, ça devait être possible pour une déesse. Enfin, il supposait ? Il devait bien admettre que tout cela le dépassait…

La centenaire lui demanda s’il dormait mieux ces temps-ci. Comme elle avait mis en avant le fait qu’il avait repris le sport, il ne se douta de rien.

- Je dors mieux… Je n’avais pas fait le lien avec le sport, mais c’est peut-être bien ça, même si je n’en fais pas beaucoup, j’essaie au moins de m’y tenir.

Si le sport avait amélioré sa qualité de sommeil, cela le rassurait, car cela ne signifiait pas qu’il oubliait sa bien-aimée ou que son amour pour elle s’en retrouvait diminué.

Je ne pus m'empêcher de rire à la remarque de Lucas, en pleine bouchée. Je mis la main devant la bouche pour éviter de lui postillonner dessus. Quelle idée de me fait rire comme ça ! C'était à ses risques et périls... En tout cas, je ne pouvais qu'être d'accord avec lui : les parisiens étaient des plus irritables et agressifs sans qu'on ait besoin de les y forcer. Il poursuivit en faisant la réflexion que le manque de sommeil réduisait l'attention et la concentration et suggéra que l'autre puisse les préserver des désagréments du sommeil. Je tapotais mon menton avec le doigt et répondis songeuse - maintenant que ma bouchée était terminée :

" Oui ce ne serait pas surprenant et puis ça reste quand même une déesse et elle n'est pas si bête quand elle fait un effort. "

Même si elle l'était sur plein de sujets mais nous n'allions pas encore en parler. Je pense que vous savez tous très bien ce que je pense d'elle et de sa vision. Puis, connaitre l'état de Lucas était on ne peut plus important et intéressant. Je comptais bien me concentrer dessus maintenant que j'avais transmis l'information. Le chef me confirma qu'il dormait mieux et ma suggestion sembla lui apporter une explication qui lui convenait. J'étais assez fière de moi. Il me dit se tenir à son entrainement sportif. Je lui souris et lui dis avec entrain :

" C'est bien. Tu verras, plus tu en feras, mieux  ça ira pour toi. Bon, tu ne me battras pas à la course mais mieux dormir un bon début. Je suis contente pour toi. "

Conclus-je en terminant mon assiette. J'avais mangé vite mais avait réellement apprécié. S'il n'avait pas été face à moi j'aurai léché l'assiette pour ne pas en perdre une miette. À la place j'utilisais ma fourchette pour racler la moindre trace de sauce. Je posais mon couvert dans l'assiette et lui dis avec un large sourire :

" Le jour où tu ouvriras ton restaurant, je serai ta cliente la plus fidèle. "

Je n'avais pas encore testé le restaurant où il travaillait et il y avait plusieurs bonnes raisons à cela : déjà il y avait des ennemis qui y trainaient, des personnes que j'avais volés et puis il n'était peut-être pas le seul cuisinier. Ce serait une autre affaire si le restaurant lui appartenait. Je pourrai toujours négocier pour manger à un endroit non vu du public et puis je saurai que c'est lui qui cuisine. Ce n'était pas que je n'avais pas confiance aux autres cuisiniers mais plutôt que quand je goûtais sa cuisine, je n'avais pas envie de goûter moins bien.

" J'ai essayé un peu tes astuces mais ce n'est pas pour moi la cuisine... Chacun son talent, je suppose. "

- Comme quoi, la connerie peut atteindre des sommets au point de toucher même les dieux... Commenta-t-il.

C’était désespérant de constater que la connerie était vraiment sans limite… La compagnie de Tatiana stimula l’appétit du trentenaire qui mangea sans avoir à se forcer et en y prenant du plaisir. S’il était resté seul, il aurait probablement sauté le repas. Discuter avec Tatiana lui changeait un peu les idées et l’empêchait de ressasser.

Lucas esquissa un sourire amusé lorsqu’elle lui fit remarquer qu’il ne la battrait pas à la course et il approuva d’un signe de tête lorsqu’elle lui dit que mieux dormir était déjà un bon début. En effet, le sommeil récupérateur lui permettait d’avoir les idées un peu plus claires et il commençait à s’interroger sur son choix d’avoir intégrer Anarchy… Certaines choses lui déplaisaient et il savait qu’il ne pouvait pas leur faire confiance à cent pour cent. Pour l’instant, ils n’avaient pas encore rempli leur part du marché, à savoir l’informer de qui était l’ange qui avait tué Anna. Lucas avait la vague impression qu’ils savaient très bien de qui il s’agissait, mais qu’ils se servaient de lui pour continuer à éliminer d’autres anges, car ils savaient très bien qu’aussitôt sa vengeance assouvie, il se calmerait et ne s’investirait plus autant. Lucas savait désormais que les démons pouvaient le manipuler à son insu et il se méfiait de certains d’entre eux au sein d’Anarchy. Il espérait au moins que son acolyte, Michel avec qui il faisait souvent équipe lors de missions était sincère et ne disposait pas de son pouvoir pour le manipuler aussi…

Tatiana le tira de ses pensées en lui disant avec enthousiasme que le jour où il ouvrirait son restaurant, elle serait sa cliente la plus fidèle. Cela le fit sourire. Il était loin de penser à ouvrir son propre restaurant étant donné la situation actuelle. Mais sans doute est-ce qu’Anna aurait souhaité… Il la revoyait encore se vanter auprès de son entourage d’être en couple avec un jeune Chef talentueux dont les critiques culinaires ne cessaient de faire l’éloge.

- Si ce jour arrive, je proposerais un hot dog gastronomique à ton nom au menu. Dit-il en souriant.

La jeune femme avait tenté les astuces de Lucas en cuisine, mais sans franc succès. Elle supposa que c’était une question de talent.

- Ou une question de timing. Cuisiné prend du temps, si tu n’as pas de temps pour ça, forcément, ce sera difficile pour toi de cultiver un certain talent dans ce domaine.

Je ne pus qu'aquiescer en entendant Lucas déclarer que la connerie pouvait atteindre des sommets au point de toucher les dieux. Cette vérité allait se révéler complexe dans notre monde pour moi mais surtout pour les humains. C'était déjà assez pénible de devoir composer sa vie avec des idiots n'ayant aucun pouvoir dans Paris mais si l'on ajoutait les anges et les dieux, nous n'étions pas sortis d'affaire. Heureusement, je ferai de mon mieux pour veiller au moins sur Lucas même si la dernière fois c'était plutôt lui qui l'avait fait face à l'ange. C'était aussi un peu le cas maintenant face aux humains. En y repensant, c'était un peu la honte que ce soit un humain qui vienne encore et toujours au secours une démone aussi expérimentée que moi mais je n'allais pas en faire toute une montagne. Je n'avais pas tant d'orgueil que cela. Le principal était qu'il ne lui arrive rien.

Rapidement, notre discussion aborda la création du restaurant. Le chef me dit que si cela arrivait il proposerait un hot dog gastronomique à mon nom au menu. Mes joues s'empourprèrent instantanément tandis que j'eus un hoquet de surprise. Il disait cela comme si c'était quelque chose d'évident ou de banal mais je le pris vraiment comme un honneur extrême. C'était la chose la plus gentille qu'on m'ait dite de ma vie. Avoir un plat à mon nom me donnait une importance symbolique et une place réelle à son yeux. Pourtant moi je n'étais personne pour lui. Il ne me connaissait que depuis peu de temps et même si nous nous entraidions et que le courant passait bien, je n'avais pas réalisé qu'il puisse me considérer comme une amie. Je n'avais pas d'ami, pour leur propre survie. Personne ne me voyait plus que comme une fille passant par là. J'en eus des bouffées de chaleur et je restais muette, totalement abasourdie. Enfin, mon cerveau me donna LA réponse. Il blaguait : ça devait forcément être ça. Mais oui, comment avais-je envisagé une seconde qu'il puisse être sérieux ? Quelle naïveté ! Je décidais d'en rigoler, me détendant instantanément et perdant mes couleurs.

" Aha ! Mais oui, mettre à l'honneur mon plat fétiche et mon nom au menu... Comme si c'était envisageable. La bonne blague ! Fais attention, tu semblais si sérieux que je n'avais pas tout de suite compris que c'était de l'humour. En même temps, un hot dog gastronomique c'est impossible, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille... "

Pour moi la page était tournée, je n'avais pas de question à me poser. J'étais aidée car nous avions parlé de mes compétences en cuisine et il me suggéra que je ne réussissais pas la cuisine car cela demandait du temps. Je hochais la tête et lui dis avec sincérité :

" C'est vrai que je n'ai aucune patience. Puis, j'ai de la difficulté à y consacrer du temps d'autant que c'est décourageant de toujours tout brûler. Le petit bonus est que ça gâche de la nourriture. Franchement, je préfère la donner à ceux qui savent faire. Je pense qu'il vaut mieux que je me contente de mes talents actuels. "

Ils étaient de mon point de vue : voler, enquêter mais aussi utiliser mes dons de démons plutôt correctement contre les enflures de ce monde. J'avais aussi celui de tout gâcher mais ça c'était plutôt une malédiction que j'aurai voulu conjurer. Pour éviter de déprimer à cette idée, je repris avec humour :

" Puis je ne voudrais pas te faire de l'ombre en devenant la nouvelle cheffe renommée de Paris. La mystérieuse dame hot dog. "

J'éclatais de rire à cette vision.

Tatiana pensa que Lucas lui avait fait une blague en pensant que c’était impossible d’allier hot-dog et gastronomie. Le Chef la laissa penser que c’était irréalisable et la surprendrait le moment venu. Ils poursuivirent leur conversation autour de la cuisine, la jeune femme lui dit qu’elle n’avait aucune patience pour cuisiner et que ses multiples échecs la décourageaient en plus de gâcher la nourriture. Lucas rit doucement à la plaisanterie de Tatiana qui prétendait ne pas vouloir lui faire de l’ombre en devenant la nouvelle cheffe renommée de Paris.

- Ecoute, j’ai quelque chose d’important à te dire. D’habitude, je garde ça pour moi, par précaution, mais je sens que je peux te faire confiance et puis, on fait équipe tous les deux. De toute façon, si tu travailles en tant que détective, tu le sais peut-être même déjà… Je fais partie du mouvement Anarchy. Pas de commentaire, je sais très bien ce qu’on pense d’eux et Anna m’aurait trucidé de les avoir rejoint, mais j’ai mes raisons et j’y ai quelques alliés fiables. Je crois... Enfin bref, tout ça pour te dire qu’on compte plusieurs démons disparus dans nos rangs et certains ont été retrouvés comme esclave d’humains. C’est ce dont je t’avais averti l’autre fois. Pour l’instant, on ne sait pas comment ils s’y prennent et les démons sont sur le qui vive. Certains ont déjà tenté d’aller libérer leur congénère et n’en sont pas revenu. Le plan actuel, ce serait qu’en tant qu’humain, je demande à acquérir un ou plusieurs de ces démons pour le ramener à Anarchy. Le problème, c’est qu’on ne sait pas comment les sortir de cet état d’hypnose ou je ne sais quoi… Est-ce que tu aurais des pistes à ce sujet ?

Ses collègues d’Anarchy comptaient sur lui et sur les quelques rares humains du groupe, la majorité le composant étant principalement des démons, les anges n’y étant bien évidemment pas admis. Un ange qui aurait souhaité rejoindre ce mouvement ça aurait signifié que soit il lui manque une case, soit qu’il était parfaitement suicidaire. Voir les deux…

Après avoir ri avec moi, Lucas me dit avoir quelque chose d'important à me dire. Je repris mon sérieux et lui montrais qu'il avait toute mon attention. Il me dit que d'habitude il gardait cette information pour lui mais me dit pouvoir me faire confiance et souligna que nous faisions équipe. Je hochais la tête en rougissant malgré moi. Décidément, j'avais l'impression d'avoir une place haute dans son estime alors que je ne le méritais pas. Je n'avais pas rêvé avant et il m'avait vraiment attribué une place à ses yeux ? Je ne savais plus du tout quoi en penser et je préférais écouter la suite pour ne pas me torturer l'esprit pour le moment.

Il m'avoua faire partie du groupe Anarchy. Je ne dis rien : il avait le droit de faire ce qu'il voulait. Je pouvais comprendre qu'on veille se révolter contre les anges violemment et il avait tous les droits de vouloir le faire. C'était même plutôt malin de ne pas vouloir le faire seul. Au moins ne finirait-il pas assassiner. Quand on s'attaquait à des anges, mieux valait être accompagné... Mais je ne comprenais pas trop : il avait dit vouloir faire le boulot seul. Finalement peut-être l'avait-il dit car il préférait impliquait d'autres personnes plus puissantes ? Qu'importe. S'il se sentait bien entourée... Enfin, il croyait. Cette précision me fit tiquer. Il n'était pas sûr ? Il faudrait que j'y jette un oeil. Je n'aimais pas les hésitations quand elles concernaient des démons et en sachant qu'il était plutôt sûr de lui concernant sa vengeance. Puis, je pourrais voir qui étaient ses fameux alliés de mes propres yeux.

Il arriva à ce qu'il voulait me dire : des démons avaient disparu dans leurs rangs et certains avaient été retrouvés comme esclave d'humains. C'était surprenant qu'ils réussissent à le faire à des personnes aussi entêtées que des membres d'Anarchy. Ça faisait vraiment froid dans le dos. Il m'expliqua que certains avaient tenté de libérer leurs alliés mais n'étaient pas revenus. Ils avaient donc décidé d'utiliser Lucas pour qu'il achète un ou des démons pour les ramener à Anarchy. Cependant, ils ne savaient pas comment les sortir de cet état. Il me demanda alors si j'avais des pistes sur le sujet.

J'avoue avoir été un peu prise de court par une telle demande. Je voyais à quel point il me faisait confiance et me demandais de l'aider pour un fait majeur. Étant de liberty, je n'étais pas vraiment sensée collaborer avec eux mais on parlait de Lucas. Ce n'était pas n'importe quel fou furieux d'Anarchy. Puisqu'il avait été franc avec moi, je me sentais redevable et me dis que c'était la moindre des choses que de lui parler en toute honnêteté. De toute façon, j'avais toujours agi à ma guise avec ou sans Azazel. Elle le savait et se doutait bien qu'un jour je dirai que je travaillais pour elle. Elle ne m'avait d'ailleurs donné aucunes consignes sur le sujet alors... Et puis je lui avais déjà confié voir Azazel, donc il n'y aurait rien de vraiment nouveau... Et pour le reste, il finirait par le savoir, enfin, je le supposais.

" Merci pour ta confiance. Ça me touche énormément. "

Je ne pensais pas la mériter mais je préférais ne pas le dire parce que cela remettrait en cause le fait qu'il puisse le faire. Or, il pouvait vraiment me confier tout ce qu'il voulait les yeux fermés. Je voulais vraiment le protéger.

" Ce que je vais te dire, tu le gardes pour toi... Je te fais confiance. "

Quand j'eus son accord, je poursuivis.

" Les membres de Liberty ont commencé à mener eux aussi des actions pour capturer tous les démons esclaves, quitte à les contenir pour le moment. En ce qui concerne un potentiel remède ou une solution, Azazel y travaille et pense pouvoir y arriver dans certains cas. Je ne sais pas exactement comment, mais son intérêt est de tous les libérer et empêcher qu'il y ait plus de victimes. "

Je regardais Lucas et repensais aux confidences très récentes de la déesse que je n'avais encore communiqué à personne mais qui avait été, je suppose, envoyé à tout liberty.

" Par contre, il semblerait que parfois ils injecteraient une substance dans le cerveau des démons pour faire cela. Sachant cela, je vais prochainement partir en mission avec la cheftaine de Liberty pour récupérer cette substance. "
Je m'attendais à ce qu'il hurle aussi je lui fis signe de m'écouter jusqu'au bout.

" La cheftaine passe à travers les murs, c'est elle qui va prendre tous les risques. Moi je ne serai que la distraction pendant qu'elle agira. Je ne prends pas trop de risque et si ça sent le roussi, je fuis : je suis une pro sur le sujet. Puis si nous avons la substance, nous pourrons l'analyser et peut-être trouver un antidote pour tous. C'est un risque à prendre pour sauver tout le monde. "

Tatiana le remercia pour sa confiance et puisqu’ils en étaient aux confidences, elle lui parla un peu de ce que les membres de Liberty avaient déjà entrepris. Pour l’heure, ils en étaient à peu prêt au même stade : libérer les démons sans avoir de réelles solutions pour les ramener à la raison, simplement les mettre en sécurité et hors d’état de nuire pendant que la déesse Azazel cherchait un remède ou une solution pour les sortir de cet état. Lucas écoutait attentivement ce que lui disait Tatiana. Le fait de savoir qu’Azazel se penchait sur le problème était déjà encourageant. Après tout, elle était une déesse, elle devait avoir des pouvoirs bien plus puissants que les anges, les démons ou les humains réunis ! Quoique, la science humaine était tout de même capable de donner du fil à retordre à une déesse… Lucas ne savait pas trop quoi penser. Tout cela était totalement inédit. Il y a encore quelques temps, il vivait sa petite vie tranquille et le seul démon qu’il connaissait était Anna qui vivait paisiblement comme n’importe quelle jeune femme humaine de son âge…

Lucas apprit qu’une substance était injectée pour soumettre les démons à la volonté des humains. On ce serait cru dans un mauvais scénario de science fiction, mais c’était la triste réalité. Après tout, l’être humain avait bien créé des abominations comme la bombe atomique ou des virus… Au lieu de mettre son savoir et sa science au service de l’humanité et de rendre le monde meilleur…

Tatiana lui confia que la cheftaine de Liberty passait à travers les murs et qu’elle prendrait tous les risques pendant qu’elle ferait diversion. Elle lui assura qu’elle ne prenait pas trop de risques et qu’elle fuirait si ça sentait le roussit.

- Je compte sur toi, je ne veux pas encore avoir à perdre quelqu’un à qui je tiens. Avoua-t-il.

Lucas avait eu son quota de décès. Il commençait à s’attacher à Tatiana. Elle était peut-être même sa première véritable amie depuis la perte d’Anna. Les moments simples et sans prise de tête qu’ils passaient ensemble lui faisaient du bien, il ne pouvait pas le nier. Il ne voulait pas la perdre, elle aussi. Il ne le supporterait pas.

Lucas ne hurla pas mais me dis compter sur moi en soulignant qu'il ne voulait pas encore avoir à perdre quelqu'un à qui il tenait. Qu'il dise cette phrase me fit rougir, tant que je fis semblant d'avoir une quinte de toux interminable, qui devint réelle. Je me levais et finis par demander à boire plusieurs verres d'eau pour me remettre de mes émotions. J'avais eu la sensation de m'étouffer sous le poids de cette révélation. Je savais qu'il voulait que je fasse attention mais de là à dire qu'il tenait à moi c'était un peu exagéré. J'étais tellement sous le choc que je manquais de tomber de ma chaise en reprenant place à table.

Avais-je mis trop de temps à l'éloigner de moi ? En le protégeant, avais-je fait en sorte que je devienne vraiment quelqu'un dans sa vie ? Et que se passerait-il maintenant que je l'étais si je partais ? Sans doute saurait-il me détester mais cela lui laisserait un vide contrairement aux autres qui s'étaient contentés de m'oublier aussi vite. Je m'étais mise dans un pétrin incroyable. Comment allais-je m'en dépêtrer ? Vous vous dites sans doute que j'exagérais un rien : avoir un ami, c'est normalement plutôt une bonne chose. C'est ce que dirait la cheftaine, Sophia, mais pas moi. J'étais un aimant à ennuis et toute mon histoire le confirmait. Cela présageait le pire pour lui et je ne voulais vraiment pas qu'un malheur s'habite sur lui. Il avait déjà trop souffert.

Sortant de mes pensées, croisant son regard, je me mis à éclater en sanglots sans pouvoir m'arrêter.

" Je suis désolée... Je suis tellement désolée... " furent les phrases que je répétais en boucle le temps de laisser sortir toutes mes émotions enfouies en moi depuis bien trop longtemps.

Je me doutais qu'il ne comprendrait rien. Comment le pourrait-il ? Alors il fallait que je trouve une explication... Ou alors que je parte. Ça semblait bien plus simple et d'un autre côté ça allait sans doute encore plus l'inquiéter. Je ne voulais pas qu'il perde le sommeil qu'il venait de retrouver. Mais alors que voulais-je au juste ? Oui, pourquoi faisais-je tout ceci ? Il fallait le lui dire avant qu'il se mette à pleurer à me voir dans cet état.

Je finis donc pas souffler pour évacuer mon émotion et je lui dis après avoir essayé mes larmes du revers de la manche :

" Je veux juste que tu puisses un jour être de nouveau heureux mais... Mais avec moi c'est exactement l'opposé. Je n'apporte rien de bon. Tout ce que je touche, je finis par le détruire, Lucas. Et je ne veux pas... Je ne veux pas te détruire plus que tu ne l'es. "

Quitte à être honnête, je lui avouais même ce que je ne voulais pas lui dire quelques minutes plus tôt, pensant qu'il verrait que j'étais vraiment nuisible.

" J'ai demandé à Azazel de t'aider à dormir, de t'accorder la paix dans ton sommeil pour que tu puisses guérir mais j'aurai dû te demander ton avis. Je suis désolée... "

J'étais prête à partir par la fenêtre, la tête rentrée entre les épaules, totalement abattue par le flot de sentiments qui me parcouraient.

Tatiana se mit à éclater en sanglot, laissant Lucas perplexe. Avait-il dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Elle se mit à répéter qu’elle était désolée.

- Mais enfin, désolée pourquoi ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Lucas s’était levé de table pour se rapprocher d’elle et poser une main qui se voulait rassurante sur son épaule secouée par les sanglots.

- Calme-toi et explique-moi ce qu’il se passe, je ne comprends pas et tu m’inquiètes là…

La démone finit par reprendre son souffle et à exprimer ce qui la tracassait. Elle voulait qu’il puisse à nouveau être heureux un jour. Lucas encaissa l’information. Il n’avait jamais espéré être à nouveau heureux depuis le décès de sa fiancée. Tatiana poursuivit en s’accusant de ne jamais rien apporter de bon et de détruire tout ce qu’elle touchait et elle ne souhaitait pas le détruire plus encore qu’il ne l’était. Elle lui avoua même être à l’origine de son sommeil retrouvé : elle avait demandé à la déesse Azazel d’intervenir en sa faveur et s’excusa encore de l’avoir fait sans lui demander son avis.

Lucas retira sa main de l’épaule de Tatiana et recula d’un pas sans détacher son regard de la démone. Il accusa le choc. Une fois de plus, il avait été manipulé à son insu. Et elle lui avait même suggéré que c’était grâce au sport qu’il avait repris… Lucas alla s’asseoir sur sa chaise et se prit la tête entre les mains. Il ne savait plus quoi penser. Toutes ces histoires de démons manipulateurs, de divinités en compétitions… Ses choix, ses décisions lui appartenaient-ils encore ? Dans quelle mesure était-il encore responsable de ses actes ? Il croyait devenir fou et ne savait plus comment il devait se comporter. D’une part, il y avait la colère, le sentiment d’avoir été trompé et manipulé qui lui dictait de chasser Tatiana de chez lui et de sa vie… D’autre part, la découvrir ainsi vulnérable dans toute sa détresse tempérait cette première émotion. Lucas se leva de sa chaise. Il restait silencieux. Il s’approcha machinalement d’un meuble sur lequel étaient exposés des cadres photos. Il en saisit un en particulier et l’observa longuement. Sur la photo, le visage souriant d’Anna. Comment aurait-elle réagit si elle avait été là ? Qu’aurait-elle dit ? Peut-être qu’en tant que démone, elle aurait pu mieux comprendre le positionnement de Tatiana et qu’elle l’aurait défendu ? Ou bien lui aurait-elle recommandé de se méfier d’elle ?

Il se tourna vers Tatiana et en la découvrant si torturée, il lui sembla trouver un élément de réponse :

- Anna… Anna t’aurait probablement défendue… On dit que « l’enfer est pavé de bonnes intentions… » Je suppose que ça doit être ton cas… Mais ce serait mentir de dire que je ne t’en veux pas...

Lucas prit une profonde inspiration avant d’expliquer calmement sa position :

- D’abord, tu ne peux pas me détruire : un ange l’a déjà fait en me privant d’un seul coup de tout ce qui m’était le plus cher au monde : celle qui allait devenir ma future épouse, mes enfants à naître, mon avenir en somme… Mes cauchemars sont là pour me le rappeler et me donner une raison de continuer à m’accrocher à la vie. Même si ça me fait souffrir de revivre ces moments, j’en ai besoin pour que ma haine et mon désir de vengeance restent intacts. Cet ange… Je dois lui faire payer. Même si je sais que ça ne rime à rien, j’en ai besoin pour continuer à survivre, tu comprends ?

La voix de Lucas perdit de son assurance et lui aussi craqua et se mit à sangloter.

- J’en ai besoin, Tatiana. Je ne peux pas vivre comme si rien ne c’était passé. Ce serait comme la tuer une deuxième fois, tu comprends ? C’est au-dessus de mes forces. Je ne peux pas oublier, je ne peux pas dormir comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et faire comme si tout ça n’avait pas existé, comme si elle n’avait pas existé, comme si tout ça n’avait pas compté pour moi. Je ne peux pas et toi, tu n’as pas le droit de m’en priver. De toute façon, il faut se résigner : je ne trouverais jamais plus la paix ou alors un semblant de paix quand je cuisine et que je parviens à me vider l’esprit, mais c’est tout. Pour moi, c’est fichu et la seule chose que tu puisses faire si tu veux vraiment m’aider, c’est de retrouver cet ange pour que je puisse me venger. N’interfère plus jamais dans mes affaires à mon insu, s’il te plait. Conclut-il en essuyant ses larmes du revers de sa main.

Je crus un instant que peut-être je n'avais pas tant gaffer que ça mais je compris lorsqu'il retira sa main que j'avais tord. Même si Anna m'aurait défendue, d'après lui, il restait en colère contre moi. Je compris les choses à ma manière, parce que je suis moi et parce que j'étais en petits morceaux. Je retins que comme disait son dicton : l'enfer est pavé de bonnes intentions... Mais j'étais un démon, un diable qui détruisait tout malgré ses bonnes intentions. Tout comme j'avais détruit ces maisons, comme je brûlais tout chez moi, tout comme je le faisais pleurer... Comme je lui avais arraché ce qui comptais tant pour lui. Ses cauchemars, il y tenait. C'était sa dernière porte vers elle et je lui avais enlevé. Voilà qui j'étais. Tout simplement. Il n'y avait même pas à chercher à me défendre.

Sa dernière requête fut que je n'interfère plus jamais dans ses affaires à son insu. Je haussais les épaules et lui dis, la voix cassée :

" C'est la dernière fois. Je te rends tes rêves et je n'interfèrerai plus jamais. "

Il avait été clair et si j'allais le faire un peu malgré lui, c'est ce qu'il voulait au fond. Je le savais, je sentais sa colère. Alors voilà, je le détachais de ce qui le retenais de me détester. Son émotion pourrait lui faire oublier le bon et il ne me regretterait pas. Je me transformais en chat pour ne plus me retourner. La petite lettre que je lui avais écrite vola dans l'appartement, dernière trace de mon passage. Désormais je n'avais plus qu'un objectif : rentrer dans mon antre et ne plus en sortir. J'en avais assez d'être moi. Je pense que tout l'univers en avait assez.

En rentrant, je brûlais la chambre dédiée à ce genre de situation. Oui, j'étais émotive et dans ces cas-là j'étais incontrôlable. Le tout était de ne pas détruire mon logement. J'avais donc tout mis en place... Et j'allais pouvoir passer une nuit à tout sortir en toute sécurité. J'avais pour autant demander mentalement à Azazel de laisser Lucas retrouver ses cauchemars habituels sans interférer.

Son voeu avait exaucé, restait donc à ce que j'accepte cette situation. Je ne pense pas que j'avais autant souffert depuis très très longtemps. Je me sentais simplement incapable de pouvoir être autre chose que le monstre que le monde d'Era voulait que je sois.

Tatiana resta silencieuse pendant qu’il parlait sans parvenir à contenir ses émotions où se mêlaient confusément la tristesse et la colère. Lorsqu’il eut fini de parler, la démone répondit d’une voix cassée que c’était la dernière fois. Qu’elle lui rendait ses rêves et qu’elle n’interfèrerait plus dans ses affaires. Lucas ne répondit pas et ne fit rien pour la retenir lorsqu’elle partit. Il était trop éberlué. Il ne savait plus où il en était et n’avait pas les idées claires. Il tourna en rond dans son appartement comme une âme en peine qu’il était. Il entra dans la chambre d’enfant qui aurait dû accueillir les jumeaux à naître. Tout y était encore intact. Lucas se saisit d’un des doudous qu’il serra entre ses deux mains posées sur son front et se remit à sangloter. Non, il ne pouvait pas se permettre d’oublier le bonheur dont cet ange l’avait privé pour un délit d’espèce. Anna était une démone mais n’avait pas mérité ce qu’il lui était arrivé. Cet ange devait payer pour son crime. Ses crimes.

Les pensées de Lucas étaient confuses. Il en voulait à Tatiana pour ce qu’elle avait fait. Elle n’avait pas le droit de se mêler de ça. Pour qui est-ce qu’elle s’était prise ? Et en même temps, il avait été sincère avec elle, juste avant d’être déçu. A moins qu’il n’ait été victime de ses manipulations ? Comment savoir ? Il n’était plus sûr de rien… A qui se fier ? Si Anna était là, elle pourrait le guider dans ce monde devenu fou. Mais il était seul, désespérément seul.

Lucas finit par s’assoupir et rêva à ce qu’aurait pu être sa vie si rien de tout cela ne leur était arrivé. Il aurait été enseveli sous les couches et les biberons des jumeaux. Il aurait râlé pour des broutilles du quotidien, juste pour le principe. Mais il aurait savouré ses moments en famille…