Offrande [PV Lord Asteb]

La jeune femme observa longuement le visage endormi de la résidente qui s’était assoupie sur l’un des sièges du lieu de culte. Elle tenait encore un livre ouvert entre ses mains. Elle avait du s’endormir en le lisant. Peut-être avait-elle luté en vain en lisant et relisant à plusieurs reprises la même ligne sans l’intégrer comme cela arrive parfois. Non loin, brûlait un certain nombre de bougies posées là par des fidèles du Lord – ou du moins certains prétendaient-ils l’être. Sans doute la bougie de cette dame avait-elle était posée là et se consumait lentement. Les flammes dansantes se reflétaient dans les yeux vairons de la jeune femme.

Elle se saisit délicatement d’un chandelier en or et l’abattit froidement sur le crâne de sa victime qui fut secoué d’un soubresaut avant de rendre son dernier souffle. Sans état d’âme, la jeune femme reposa le chandelier, prit une bougie et l’alluma :

- Ô Lord Asteb, acceptez mon offrande, puisse-t-elle vous assurez de ma fidélité.

Sa prière achevée, un sourire satisfait se dessina sur le visage de Louise.

La faim me tiraillait de plus en plus. Je sentais que le moment fatidique arriverait bientôt. Ce jour-là, je ne retiendrais plus mes coups. Mais d’ici là il me fallait être certain que tout soit parfait. Toutes les pièces devaient être en place pour pouvoir débuter un nouveau cycle.

L’autre était silencieux, sans doute soulagé de savoir que bientôt notre pacte serait terminé. Je tenais mes promesses : il pouvait compter là-dessus… Bien qu’il risquait de ne pas profiter bien longtemps du temps lui restant avec elle. Enfin, ce n’était pas mon problème.

Je sortis de mes pensées en entendant un bruit sourd puis une voix me disant qu’elle me donnait une offrande. J’étais, en effet, de passage près du lieu de culte. Je vis alors le corps sans vie d’une résidente face à la fameuse Lise / Louise, arrivée récemment. Un sourire aux lèvres, je lui dis de ma voix rauque :

“ Je l’accepte volontiers. Merci mademoiselle... ”

Je regardais son air et la trouvais sûre d’elle et en déduis qu’il s’agissait de Louise. Je tentais donc le coup.

“... Louise ? ” J’attendais sa confirmation avant de reprendre la parole. “ C’est grâce à des fidèles comme vous que je peux continuer de faire mon travail correctement. ”

Si l’on ne me donnait pas d’offrande, la lune rouge arriverait trop tôt. Ce ne serait bon ni pour les résidents ni pour moi. Pour ne pas décevoir ma maîtresse, tout devait être parfait.

L’autre aurait sans doute demandé si cette femme était une traitresse mais je ne m’embêterai pas avec ce genre de questions. J’avais tellement faim. Je sentais mes forces diminuer un peu plus chaque jour. Il aurait fallu que je mange deux résidents par jour pour me refaire une santé. Cela me donna une idée.

“ Me feriez-vous l’honneur de me suivre dans mon bureau ? J’ai quelque chose à vous demander. ”

La jeune femme ne s’attendait visiblement pas à une réponse. Elle se retourna, étonnée, puis s’inclina respectueusement devant Lord Asteb. Un sourire se dessina sur son visage : il avait vu juste et ne l’avait pas confondu avec cette empotée de Lise ! Il marquait donc un point supplémentaire pour s’accorder les faveurs de l’intrépide demoiselle.

- C’est grâce à des fidèles comme vous que je peux continuer de faire mon travail correctement.
- Vous m’en voyez ravie, Lord Asteb.

“ Me feriez-vous l’honneur de me suivre dans mon bureau ? J’ai quelque chose à vous demander. ”

Louise acquiesça et suivit le Lord vers son bureau, curieuse de savoir la requête qu’il avait à lui faire. Désirait-il qu’elle arrache le cœur des sacrifiés ? Qu’elle dessine un pentacle ou un symbole quelconque en ce faisant ? Qu’elle récite une incantation en faisant son offrande sacrificielle ? Louise était suffisamment ouverte d’esprit pour s’y adonner à cœur joie.

Nous arrivions dans mon bureau et je fermais à clé une fois tous deux à l'intérieur. Je l'invitais à prendre place puis en fis de même sur mon siège face à elle. D'un air des plus sérieux, je lui tins ces mots :

" J'aurai besoin de deux sacrifices par jour mais il faudra rester discret pour que personne ne vous soupçonne. Cela vous semble-t-il envisageable ? Tous les résidents ici ne souhaitent pas avoir connaissance de ce genre d'actes. Ils sont disons de nature peureuse et je ne voudrais pas qu'une révolte se crée contre moi sachant que ces sacrifices sont nécessaires. "

C'était une demande directe mais je pense que cela ne serait pas pour déplaire à Louise qui avait clairement du caractère. Je l'avais d'ailleurs fait venir dans cet espoir. Il était difficile de trouver de bons serviteurs et elle semblait pouvoir remplir ce rôle à la perfection. J'espérais ne pas me tromper.

" S'il vous faut quelque chose en retour, je ferai le nécessaire. "

Après tout, en me fournissant ces offrandes elle m'était d'un soutien précieux. Evidemment, si elle demandait à partir ce serait une autre paire de manche mais elle ne semblait pas être venue ici pour repartir.

" En tout cas, je tiens à souligner que j'aime votre esprit d'initiative. Ça me change de mes autres serviteurs qui doivent recevoir des ordres pour agir. "

Louise suivit docilement le Lord jusqu’à son bureau. Il l’invita à prendre place sur le siège devant son bureau, ce qu’il fit pendant qu’il verrouillait la porte à clé. Ce qui n’alerta pas la jeune femme le moins du monde. Certains auraient craint de se retrouver enfermer dans cette pièce isolée, à plus forte raison en compagnie de ce Lord sur lequel circulait un certain nombre de rumeurs. Pourtant, pour une raison inexplicable, Louise se sentait en confiance en compagnie de ce Lord Asteb. Ce n’était pas un être banal, cet homme dégageait une certaine prestance, quelque chose qui imposait le respect et la rectitude.

Louise avait pris place et lissait les plis de sa jupe tandis que Lord Asteb prenait place face à elle sur le siège derrière son bureau. Lorsqu’il fut installé, la jeune femme releva sa tête droite et planta ses yeux vairons dans ceux de son interlocuteur. Le maître des lieux alla droit au but, ce qui plu particulièrement à Louise qui avait horreur les gens indécis, qui arrondissaient les angles, prenaient des pincettes et tournaient autour du pot. Lui, il n’y allait pas par quatre chemins et cela lui plaisait. Un sourire s’était dessiné sur le visage d’ange de la jeune femme.

- J’accepte volontiers votre offre, sans rien en contrepartie. Vous souhaitez deux offrandes sacrificielles par jour, vous les aurez. Vous avez ma parole. J’aurais toutefois quelques questions d’ordre pratique : dois-je laisser vos offrandes sur le lieu de culte ou vous les amener directement dans votre bureau ? Et est-ce que vous souhaitez les recevoir toute entière ou faut-il leur arracher le cœur comme le faisaient les Aztèques ?

Ma chère Louise accepta sans réserve ma proposition. Nous avions désormais un engagement. Je n'avais pas était aussi satisfait depuis longtemps. Mon estime envers elle grandit un peu plus lorsqu'elle me demanda les précisions concernant les offrandes. Cette petite pensait à tout, et tant mieux : par le passé j'avais eu des serviteurs moins méticuleux et cela m'avait amené à certaines situations extrêmement embarrassantes. Avec elle, j'avais la sensation que tout serait fait dans les règles de l'art.

" Je souhaite que vous les ameniez vivants dans mon bureau ou morts mais dans la plus grande discrétion. De préférence, j'aimerais qu'ils soient entiers. S'ils sont morts, le mieux serait de les poignarder proprement. Cela évite d'avoir trop de sang partout. "

J'avais besoin de manger mais je n'étais pas un barbare. Certains auraient pu croire le contraire en voyant des traces de griffes et de sans ci et là dans l'hôtel. La vérité était que j'avais horreur de devoir chasser mes proies, comme les humains. Eux préféraient avoir leur viande déjà prête à consommer et non résistantes : j'étais dans la même optique. Je voulais juste reprendre des forces, ni plus, ni moins. Leur sacrifice était nécessaire pour moi survivre.

" Je ne suis pas une brute, bien que je puisse en venir à agir de manière bestiale. A vrai dire, je me considère plus comme quelqu'un de raffiné qui mange de la viande humaine. "

Je lui adressais un sourire.

" En tant que créature divine, je pense que j'ai clairement un standing que certains n'atteindront jamais. "

Mes yeux croisèrent les siens tandis que je lui demandais :

" Puis-je vous demander vos motivations de me servir ainsi ? "

Lord Asteb manifesta son désir de voir ses offrandes ramenées vivantes à son bureau. Si pour une quelconque raison, Louise devait les ramener sans vie, cela devrait alors être fait proprement et surtout en toute discrétion. En outre, il préférait ses proies toute entière et éviter les bains de sang. Il est vrai que les tâches de sang sur la tapisserie n’étaient pas évidentes à faire partir même avec les techniques de nettoyage de nos grands-mères ! La jeune femme acquiesça, cela ne ferait que lui faciliter la tâche que de simplement avoir à mener les offrandes au bureau du Lord… Ce n’était pas comme si les résidents ne demandaient pas d’eux-mêmes à rencontrer le Lord pour l’une ou l’autre raison après tout.

Le maître des lieux justifia qu’il était quelqu’un de raffiné et laissa entendre qu’il était une créature divine, ce qui faisait qu’il avait tout de même un certain standing que certains n’atteindraient jamais.
Pour conclure, il lui demanda quelles étaient les motivations de la demoiselle pour le servir ainsi. Un sourire se dessina sur le visage de la jeune femme concernée :

- Vous m’avez permis d’échapper à une vie mortellement ennuyeuse se résumant à l’adage « métro, boulot, dodo » qui aurait probablement finie par se solder par un internement en hôpital psychiatrique puisque de là d’où je viens, il parait inconcevable qu’un corps puisse abriter deux âmes… Là-bas, je n’existe pas, je ne suis qu’une « manifestation inconsciente » du mal-être de Lise…
Cela me parait être une raison amplement suffisante pour vous servir, Lord Asteb.

En l'écoutant, je me sentis presque heureux. Pas que je trouvais sa situation sur terre enviable, mais ses paroles faisaient écho en moi. Je ne pensais pas que cela soit possible. La vie semble pleine de surprise. Je lui souris et lui répondis avec une grande sincérité :

" Je pense que nous sommes très semblables, vous et moi. "

Je n'étais pas du genre à beaucoup parler de mon ressenti avec les résidents en général mais ses paroles m'y conduisaient naturellement.

" Je ne semble pas avoir ma place dans la réalité pour le moment et il semblerait que mon existence, comme la vôtre, ne puisse être comprise. Elle dépasse l'entendement. "

J'ai été créé pour être détesté, pour être le pire ennemi invincible qui soit. Et le jour où je serais anéanti, j'aurai accompli ma mission. D'ici-là, je savais que mon existence serait toujours amère. Il est rare de voir des êtres enclin à s'allier avec celui qui finirait tôt ou tard par les dévorer.

" Espères-tu ne pas connaitre le destin des autres en me servant ? "

Je ne pourrais jamais lui promettre ce genre de choses, je ne comptais pas le lui cacher. Même si j'avais voulu, je ne pourrai décider de ne pas survivre par amitié. J'avais une mission à accomplir et je ne pourrais juste mourir de faim. Tout ceci aurait été vain. Ça aurait été la catastrophe pour toute l'humanité.

Un sourire se dessina sur le visage de Lord Asteb qui, contre toute attente, partagea son ressenti avec la jeune demoiselle. Sans doute existait-il une connexion entre ces deux êtres à l’existence précaire. Après tout, l’un comme l’autre dépendait d’autrui pour exister, chacun à sa manière, comme deux parasites.

- Vous m’en voyez navrée, Lord Asteb. Répondit calmement Louise en toute sincérité.

Le très vénéré maître d’hôtel lui demanda si elle espérait être épargnée et ne pas connaitre le même sort que les autres résidents qui lui serviraient d’offrandes. Louise secoua la tête et planta ses yeux vairons dans ceux de son interlocuteur et lui répondit avec ferme conviction :

- Je n’attends aucune faveur de quiconque, Lord Asteb. Jamais.

Louise n’avait jamais compté que sur elle-même et elle n’aimait pas les promesses, car elle savait pertinemment bien que ces dernières pouvaient être trahies à tout moment. Lise en avait bien fait les frais, pourtant, elle ne semblait pas retenir la leçon. Quelle idiote… Si Louise n’avait pas été là, Lise n’aurait probablement plus fait partie de ce monde depuis un moment.

- Toutefois, je compte bien profiter de mon séjour au sein de votre hôtel, tant que cela me sera permis.

Nous étions sur la même longueur d'onde : Louise ne comptait sur aucune de mes faveurs. J'étais heureux que les choses soient bien claires. L'aventure ne serait donc pas une déception pour elle. Je la rassurais pour le reste :

" Vous avez raison : profitez d'absolument tout. Je ne comprends pas ceux qui se retiennent : il n'y a cette opportunité nul part ailleurs dans le monde. C'est le moment où presque tout est permis sans aucune différenciation sociale et raciale. Tous ont les même droits. Personnellement, je trouve que c'est un cadeau tout simplement divin. "

J'ajoutais :

" Ici il est même permis de fréquenter des êtres qu'il est normalement impossible de croiser - sans conséquence- dans votre réalité à cause d'Era. "

Je souris franchement, fier de ce qui était offert à chacun. Quand je pensais à tout cela, je me sentais fier de faire partie intégrante de cette oeuvre. Chacun d'entre eux auraient aussi dû ressentir cet honneur de se trouver dans un lieu si mystique. Pourtant, ils préféraient hurler encore et encore qu'ils voulaient sortir, sans jamais réellement s'en donner les moyens. Quand je comptais le nombre de personnes qui s'étaient réellement rendues dans mon bureau pour tenter de m'éliminer sur toutes ces années... J'étais surpris qu'ils n'étaient même pas une trentaine. Chacun aimait se plaindre de son sort sans jamais vraiment essayer d'en changer la donne, pris par la peur. Ils pensaient que prier suffirait à ce qu'une divinité agisse pour eux comme à l'extérieur.

Je repensais à Lasdael qui était clairement dans ce schéma. Quand passerait-elle à l'action ? Combien de personnes devrais-je dévorer pour la voir enfin changer d'attitude ? Je me le demandais, trouvant le temps long.

" N'hésitez pas à venir me voir même en dehors des offrandes. J'aime discuter avec des personnes aussi sensées que vous. Cela n'arrive que trop rarement. "

Mon air était sérieux mais on pouvait voir que je pensais ce que je disais.

Lord Asteb l’encouragea à profiter pleinement de tout. La jeune femme acquiesça tandis que le Lord confiait ne pas comprendre ceux que certains résidents ne puissent apprécier tout ce que cet hôtel avait à leur offrir.

" Ici il est même permis de fréquenter des êtres qu'il est normalement impossible de croiser - sans conséquence- dans votre réalité à cause d'Era. "

Louise fut intriguée par cette phrase. Que voulait-il dire ? De quels êtres et de quelles conséquences parlait-il ? Qui était Era ?

Lord Asteb l’encouragea à venir discuter avec lui de temps à autres. Il semblait apprécier sa compagnie, ce qui était rare. Louise devait bien admettre que c’était réciproque. Peut-être parce qu’il ne l’avait pas confondu avec Lise dès le premier instant ? Peut-être aussi parce qu’il avait été franc avec elle dès le départ. Louise ne supportait pas l’hypocrisie et les gens qui se faisaient passer pour des personnes gentilles alors qu’elles ont en réalité un mauvais fond, rongé par des sentiments tels que la jalousie, l’égoïsme et d’autres…

- Je viendrais discuter avec vous avec plaisir. Je dois admettre ne pas avoir l’habitude de rencontrer des personnes dignes d’intérêts tels que vous. D’ailleurs, vous avez dit quelque chose qui me pose question… Vous avez parlé d’êtres qu’il est normalement impossible de croiser ? De quels êtres s’agit-il ? Et qui est Era ?

Louise n’avait bien évidemment pas connaissance de l’existence des anges et des démons, malgré ses origines qu’elle ignorait, elle-même étant un métissage des deux, autant dire une aberration aux yeux du monde…

La résidente semblait tout à fait partante à l'idée de venir discuter en ma compagnie, soulignant que j'étais digne d'intérêt. Mon regard amical lui indiqua que j'en pensais de même. Puis, sans vraiment me surprendre, elle m'en demanda plus concernant mes propos. Je souris et lui dis sans l'ombre d'un détour - ce n'était pas mon genre de faire dans le mystère quand je lançais moi-même des révélations.

" J'avoue ne pas avoir traité les choses dans l'ordre. Si on le fait, imaginez le dieu de création. Il s'agit d'Era, elle est réelle, elle possède des pouvoirs incroyables. Elle a créé les humains, les anges et démons. Ces trois sortes d'êtres peuvent ici cohabiter sans trop de différences car je contiens leurs pouvoirs les plus grands et ils n'ont pas à réellement se cacher bien que la plupart feignent être humains. "

J'étais heureux de pouvoir lui révéler la vérité.

" En plus de cela, ici séjournent des créatures oniriques dont je fais partie. Et comme tu partages le corps avec Lise, je partage ce corps démoniaque anciennement angélique mais contrairement à toi, moi je pourrai en changer et je le fais régulièrement. "

Je l'observais, me demandant comment elle réagirait et ce qu'elle dirait. Est-ce que tout ceci serait trop dur à concevoir ? C'était probable. Tout ceci ne semblaient être que des mythes pour les humains.

Le Lord reprit les choses dans l’ordre. C’était effectivement plus clair, mais tout cela paraissait complètement insensé ! Il parla d’Era, vraisemblablement une divinité à l’origine de la création des humains, mais également des anges et des démons. Selon Lord Asteb, ces trois types d’êtres pouvaient cohabiter au sein de l’hôtel, car il contenait leurs pouvoirs les plus grands. La plupart dissimulaient leurs origines mystiques.

Lord Asteb semblait ravi de pouvoir confier toutes ces choses sans doute trop longtemps gardées pour lui seul, ce que Louise pouvait parfaitement comprendre. Il lui révéla qu’ici séjournaient également des créatures oniriques dont il faisait partie. Il expliqua qu’il partageait ce corps démoniaque anciennement angélique et qu’il pourrait en changer, ce qu’il faisait d’ailleurs régulièrement. Dans d’autres circonstances, elle l’aurait peut-être pris pour un fou, un illuminé. Cependant, il y avait cet hôtel étrange, ces molosses, ces fantômes, ces gens capables de lancer des boules de feu et cette nuit éternelle. Alors plusieurs hypothèses étaient possibles : soit elle rêvait, soit elle délirait complètement, soit tout ceci était bien réel et il lui fallait alors s’adapter à cette nouvelle ou plutôt cette autre réalité.

- Dans d’autres circonstances, je t’aurais certainement traité de fou ou d’illuminé... Avoua-t-elle en souriant. Mais après tout ce que j’ai vu et vécu ici, je suis bien obligée de te croire. A moins que je ne sois en train de rêver ou que je nage en plein délire !

Louise secoua la tête :

- Qu’importe ! J’adhère complètement à cette folle aventure et j’ai bien l’intention d’y jouer un rôle, moi aussi. J’en ai plus qu’assez d’être sur la touche, d’être la « personnalité » à évincer. Tout de même, je me plains, mais ça doit être encore moins évident pour toi de devoir changer de corps, non ? Remarque, tu as au moins la chance de pouvoir rester jeune et beau, voir belle ! Déclara-t-elle en souriant, ses yeux vairons pétillants de malice.

En entendant les propos de Louise je ne pus m'empêcher de sourire. Pourquoi étais-je si heureux ? Tout simplement parce que je partageais mon secret avec une humaine qui n'était pas comme les autres et qui parlaient sans filtre. J'avais la sensation que malgré l'improbabilité de mon existence et du reste, elle était capable mentalement de tout encaisser sans geindre comme la plupart. Elle pouvait me comprendre, j'en étais réellement touché. Avant ma maîtresse, je pensais que personne n'en étais capable. J'étais la bête à abattre. Celle par qui tout commencerait et finirait.

" Tu es d'un courage incroyable et c'est tout à ton honneur. Il va y avoir des rôles à jouer et tu sais, d'un sens, tu es bien plus lucide que les autres. Même si tout ceci n'est qu'un rêve, cette réalité est vraie dans le véritable monde, en dehors de l'hôtel. C'est juste que tout est trop caché pour que quiconque veuille le voir et l'accepter. Mais, grâce à moi et ma maitresse et des gens comme toi, les choses vont changer un jour. L'équité viendra. "

Je secouais la tête.

" Changer de corps me convient et c'est nécessaire à ma survie. Le jour où ce ne sera plus possible, tout sera détruit mais j'accepte mon destin. Chacun nait et meurt un jour. "

Je la regardais dans les yeux.

" Tu es la première à qui je parle de tout cela. "

Lord Asteb la complimenta sur son courage. Louise n’avait pourtant pas l’impression d’avoir fait preuve de courage. Pour être courageux, ne fallait-il pas affronter ses peurs ? Or, Louise n’avait peur de rien. Le vénérable maître d’hôtel déclara qu’il y aurait des rôles à jouer et la complimenta sur sa lucidité. Deux compliments en une seule phrase quand il n’y en avait jamais eu en plusieurs années ? Le ciel allait-il lui tomber sur la tête ? Quoiqu’il en soit, Louise devait bien l’admettre, c’était plutôt plaisant. Elle ne comprenait pas tout ce que lui disait son interlocuteur, à propos de sa maîtresse et d’un changement à venir, mais c’était sans importance. Cela faisait déjà pas mal d’informations à digérer.

- Changer de corps me convient et c'est nécessaire à ma survie. Le jour où ce ne sera plus possible, tout sera détruit mais j'accepte mon destin. Chacun nait et meurt un jour. Tu es la première à qui je parle de tout cela.

Louise soutint le regard de son interlocuteur et conclut :

- Eh bien, tu m'en vois honoré et j’espère que ce jour ne viendra pas de si tôt car j’ai bien l’intention de ne pas m’ennuyer ici !

Quelqu’un frappa à la porte du bureau. Un serviteur ou un résident mécontent ? Quoiqu’il en soit, Louise profita de cette interruption pour prendre congé du Lord :

- Au plaisir de vous revoir prochainement et de vous ramener vos prochaines offrandes, Lord Asteb !

La jeune femme s’inclina, un sourire complice au coin des lèvres, avant de se retirer, déjà impatiente à l’idée de leur prochaine rencontre.